Samedi 7 heures

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Cher Pierre,
Samedi 7 heures : Louise se réveille, on se retrouve près du poêle ; en-haut, les autres dorment encore, elle parcourt des journaux ; Oscar saute sur ses genoux, je bois un café. Sandra, Arthur et Lili nous rejoignent enfin, je les quitte déjà.

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Edmond Angel | détail

Ne réfléchis guère à la direction, y vais comme sur des rails, sans boussole ; c'est au large d'Avenches que je me rends compte de mon égarement et de ses conséquences ; je ne suis pas sur la bonne route et je ne serai pas à l'heure à Matran. J'avertis René qu'il serait préférable qu'on se retrouve à Vordemwald. Ça circule épais aux environs de Berne et avant Rothrist, mais je suis à l'heure devant la Turnhalle, de jeunes pilotes locaux préparent un entrainement : tonneaux, spansets et pile de palettes.
La commission technique est bien représentée mais les organisateurs ne sont pas nombreux, Kurt préside. Le règlement de la Swiss cup trial est passé en revue, rien ne change beaucoup mais le club de Lucerne aimerait organiser une course dans les années qui viennent, il suffit d'un nouveau pour qu'on recommence à zéro.
Je cherche à sortir, mais les lamelles bleues des stores m'en empêchent. La salle est éclairée habituellement par 4 fenêtres à battant simple, 4 autres à battant double et 8 impostes ; lorsqu’il fait nuit, par 18 néons de dimension standard : ce matin, c’est moitié moitié, à cause du beamer.
A mes pieds un linoléum bleu brouillé blanc ; contre le mur, au sud, une soixantaine de chaises empilées, un chariot pour stocker et déplacer les tables. A l’ouest et au nord, une succession d’armoires à simple ou double battant, numérotées de 1 à 14. On aimerait les ouvrir : difficile d’imaginer, la tête froide, ce qu’elles peuvent contenir. Les bannières des Männerchor, Musikverein et Schiessverein protégées par un verre épais au-dessus des armoires 10 à 14 nous mettent sur la piste : on imagine des partitions, un diapason, un solde d’assiettes en carton, des verres, un stock de cibles, des serviettes en papier, des archives, des chemises transparentes, un vieux piston, des rayons vides,...
Je suis assis à une table recouverte d'un formica de 2 à 3 millimètres d’épaisseur, au motif beige international. Tout porte à croire que le bâtiment et le mobilier d’origine datent de la première moitié des années 60. En attestent les dents d’un interminable radiateur qui déroule ses dents de fonte au dessous des fenêtres : deux sections de 117 éléments chacun.
Un évier, un miroir, un distributeur de savon et un essuie-main garantissent l’hygiène de chacun dans cette salle de réunion. Une pharmacie murale complète l'équipement, au cas où ; on y trouve une paire de ciseaux, de la ouate, un désinfectant, deux boites de compresses et une pharmacie portative, Dedans une couverture de survie : tout cela pourrait en effet très mal finir.
J’aurais voulu disposer du vocabulaire nécessaire pour décrire le détail du mobilier, les montures inoxydables des tables, celles des chaises. J’aurais voulu connaître leur histoire, entendre ceux qui ont pris la décision de choisir ces modèles, faire apparaître les tensions et les regrets.
M'arrête en rentrant à Ropraz, avec l’intention de réorganiser ces notes ; une dame d'un certain âge m'aborde, c'est vous l'artiste qui exposez à l'Estrée? Non? Vous lui ressemblez!
Il s'appelle Edmond Angel. Bientôt 80 ans, retiré de sa famille et placé entre 9 et 16 ans comme valet de ferme, autodidacte. Il peint des personnages en noir et blanc ou en couleurs, il a les cheveux gris et porte une moustache. Engel? C’est le nom de famille de sa mère, morte jeune, elle jouait du violon.

Jean Prod’hom