Une boîte où abréger ses peines et ses joies

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Cher Pierre,
Si nous sommes amenés à différer l’acquittement de certaines de nos dettes, c’est souvent parce nous voudrions savoir, avant de nous y être engagés, où placer le levier qui donnera sens à son règlement et à l’échange qui en procède. Il suffit pourtant de prendre les devants, de tirer le premier fil, avec assez assurance, pour qu’au détour d’une phrase une lumière rasante vienne soulever la voile et éclairer en retour un pan de nos vies.

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Sylvie Durbec, qui n’est pas restée insensible à Tessons, a invité Joëlle, Catherine, Corinne, Magali et Christine à se pencher au printemps sur l’existence de mes petits paradis portatifs, à l’occasion d’un des ateliers d’écriture qu’elle anime à Marseille. Nous nous sommes rencontrés à Grignan en septembre chez Christine Macé ; Sylvie m’a envoyé en novembre quelques-uns des textes des participantes, qui m’ont rappelé au bon souvenir et aux vertus de ces restes de la vaisselle du monde.
J’y ai retrouvé la paix que dispense la marche solitaire, celle qui nous fait suivre la course du papillon, là où on s’attarde, dans le lit des rivières à l’abandon et sur les plages sans heures ; là où on réalise entre deux eaux des bouquets de fanes et de chutes.
J’y ai retrouvé le velours et le sablé, l’éclat un peu passé du visage des enfants tristes, sous l’émail le biscuit de la première cuisson, pierre nue dans la paume, grain arrondi qui retrouve au-delà d’un détour éminemment technique, violine ou pigments, le goût de la mie et de la croûte du pain.
Un jour, vous vous attachez à eux alors que vous ignorez tout de ce qui vous est promis. Vous les croisez plus tard après l’orage, inchangés ; vous les ramassez alors, soudain moins orphelins. Ou mieux. Ces brimborions ont du panache, ils vivent discrets en marge du train du monde ; brisés, roulés, usés, comme nous, victimes des circonstances mais bien décidés à s’en remettre. Ils se retapent sans rien dire à personne,
Il y a tant de choses à faire dans ces boucles qui redonnent de la durée à nos heures, points d’orgue tombés du ciel, on en sait bien peu des chemins qui conduisent à la rédemption : petite leçon d’humilité, petite leçon d’éternité.
Un enfant s’arrête et ramasse un morceau de terre cuite à Suze-la-Rousse, personne ne le lui a appris ; couleur bise et parfumé, personne ne le lui prend, il est comme un pain craquant et doré ; il le glissera dans une boîte avec un écrou, une plume et toutes ces merveilles sans maître et sans valeur à côté desquelles on passe. Une boîte qui offre à cet enfant un premier lieu où abréger ses peines et ses joies.
Il est 14 heures, on va faire une variante du grand tour, Françoise, Edouard et Valentine, Oscar, Sandra les enfants et moi. Par l’étang, la montagne du Château et le refuge de Corcelles. Lucie nous rejoint. On réveillonne.

Jean Prod’hom