On fumait la clématite

Numériser
Riant-Mont 1968

J’ai tiré sur mon premier bois fumant dans le roncier surplombant les escaliers qui montaient au Petit-Parc, tout près de chez le gros Georges, avec Claude-Louis peut-être, ou son frère André, ou un autre copain du quartier. J’avais onze ou douze ans. Ce dont je suis sûr c’est que je n’étais pas seul, je n’aurais pas osé en effet glisser une boîte d’allumettes dans une de mes poches et marcher ainsi dans la rue.
Ma première cigarette, je l’ai fumée entre 14 et 15 ans, seul dans les toilettes de Riant-Mont, fenêtres grandes ouvertes. C’était une Brunette tirée du paquet de mon père. Ni lui ni ma mère ne m’ont fait une quelconque remarque à leur retour, je leur en sais gré. L’affaire était donc bien lancée, j’ai continué en augmentant ma ration jusqu'en 1989. J’ai fumé des Virginies sans filtre, des Gauloises bleues, jaunes, disque bleu, des Gitanes sans filtre, papier maïs, des américaines, roulées, sans ordre et sans faire preuve d’aucune fidélité. J’ai cessé de fumer des centaines de fois, à certaines périodes de ma vie c’était quotidien, ou ça durait un ou deux jours avant que je n’en allume une pour fêter ces premiers pas vers l’abstinence.
Je tiens tout bien pesé pour responsables de ce vice, au moins partiellement, mes parents, Claude-Louis, Michel, Garry Cooper, Cary Grant et la société tout entière. Mais je tiens mon père pour l’unique artisan de ma décision de cesser de fumer. J’ai énoncé les conditions d’un tel arrêt le dimanche 7 mai 1989, il m’a fallu attendre encore un mois et dix jours avant de passer à l’acte, c’était le samedi 17 juin dans l’après-midi. Je n’ai plus fumé depuis ce jour-là, rien pendant plus de vingt ans, c’était hier lorsque j’y pense. Et de ce point de vue, ce rien qui a occupé chacun des instants de cette seconde partie de ma vie l’aura réduite à presque rien.

Jean Prod’hom