La neige tombe lourde et déterminée

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Cher Pierre,
La neige tombe lourde et déterminée ; elle donnera du fil à retordre à certains d’entre nous pour rejoindre la route cantonale, deux pelles pourtant en viendront à bout. On a déjeuné une dernière fois ensemble, vidé le chalet et chargé les voitures. Ils seront plusieurs à faire une halte aux Bains d’Yverdon. Sans moi, je rentre avec Oscar par Donneloye et Saint-Cierges, comme à l’aller. Fais un saut à la déchèterie où je me débarrasse de restes de papier, de carton et de plastique, photographie la maison aux sabots. Michel est venu de Froidevillle faire du feu dans le poêle, il a laissé 5 pains au chocolat et une baguette, cet homme est une perle.

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J’ai eu ce matin une belle surprise, Noëlle Rollet a en effet consacré dans ses Glossolalies un billet qui présente ma correspondance avec Pierre. M’y penche au milieu de l’après-midi et me réjouis, avec l’impression qu’elle relève précisément les points auxquels je suis attaché et qui m’encouragent à continuer : mon souci de suspendre les explications, qui tendent trop souvent à devenir des justifications ; et à cet égard, Pierre est essentiel, fictif à demi, il en sait assez sur ce qui m’arrive pour que je n’aie pas besoin de tout dire. Au contraire il m’oblige à abréger et à passer, comme chaque jour nous le faisons chacun, des tâches ménagères aux réflexions philosophiques, du temps qu’il fait à une décision qu’on est amené à prendre, du coq à l’âne.
Et toutes ces choses juxtaposées, nobles ou quelconques, pénibles ou heureuses, font voir qu’elles ont ont bien à plus à faire les unes avec les autres, ne serait-ce que parce qu’elles sont comme les cartes du joueur dans la main du même sujet. Et ce sujet – qu’il convient de supposer – il lui faut bien accepter cette donne, et tant qu’à faire l’aimer, faire tenir cette donne qui nous constitue sans dédaigner une miette.
Philosopher n’occupe pas toute l’étendue de nos jours, il s’agit donc ne pas trop demander à la pensée pour lui laisser enfin la place qu’elle mérite, entre une vaisselle et une balade sur les rives de l’Aar, successivement, sans en faire trop et vouloir en tirer des leçons, sans exténuer chacun de ces moments, mais passer quand même.
Un mot suffit, avec dessous quelque chose qui les lie plus solidement qu’on ne l’imagine, une virgule pour les abouter sans les plier aux raisons, une couleur, une syllabe, un accident comme souvent lorsque nous bifurquons. Et si nous sommes capables de vivre, c’est parce que nous sommes capables de faire tenir ensemble le disparate, avec des blancs, avec des silences, ce sont nos journées. Elles ne sont pas loin de ressembler, au fond, aux plus invraisemblables de nos poèmes.
Descends à la cuisine remettre une bûche dans le feu, y reste.

Jean Prod’hom