Marabouts



Une quinte floche de magiciens désoeuvrés conçurent l’épouvante, la firent courir un matin de novembre de main en main : quelques jours suffirent pour faire d’une coque de noix un puits sans fond. C’est qu’on n’y voyait rien dans l’éprouvette, le soleil brûlait plus que de raison et les nuits raccourcissaient. Quelques illuminés sonnèrent l’alarme, rien n’y fit, les volontés s’écroulèrent, les insulaires se mirent à barboter dans les eaux troubles de la démence tandis que l’envie aveugle rongeait les dunes. Le roi enragea lorsqu’il vit ses fidèles lieutenants noyer leur peur dans le vin du désert, ils finirent comme il se doit à l’extrémité d’une corde, de l’eau morte dans les poches, aucun acolyte pour les sortir de là. N’y allez pas, une odeur de pourriture fleure derrière les roseaux et gagne à sa cause, jour après jour, l’iode de l’océan.
Les insulaires fêtèrent aigre la fin de l’épisode. Mains sur les genoux, instruments à terre, les musiciens tiraient de leurs arrière-pensées et du claquement de leurs doigts des hymnes nauséeux, rugissements de gorges, gongs fêlés, renvois acides. Les jours suivants, on évita soigneusement de faire la lumière sur les agissements des responsables si bien que l’épouvante ne quitta pas l’île et asphyxia les jeunes pousses de l’altérité. Les épines-vinettes envahirent la côte est, mêlées aux cirses, aux orties et à de minuscules désespoirs à fleurs lilas qui marcottaient les talus. Le vent d’est inondait la côte ouest de vapeurs saumâtres. Impossible de prendre une autre direction, de se lever même, car l’histoire s’affaisse lorsque les mots d’amour sont réduits à presque rien et qu’on arrose le jardin noir des magiciens.

Jean Prod’hom