Dimanche 4 septembre 2011



Ils ont l’un et l’autre le teint des Burgondes et l’embonpoint des laissés pour compte, gros et gras, une crevette rose à leurs pieds. Ils ne sont presque rien et le savent, ni ne le crient ni ne s’en plaignent, à peine surpris d’être là comme la plupart d’entre nous. Coudes croisés on babille maigre, filet d’eau et rouge de banquet, avec la certitude qu’elle et lui seront bientôt chez eux. Plus tôt que prévu car, de fil en aiguille, ils ont passé en revue les reliefs de leur coin de pays, un fond de vallée où il n’y a rien et d’où on ne sort pas. Pour aller où ? Des lentes ont recouvert leur enfance, l’histoire s’affiche sur les lambris des écuries.



J’imagine la carcasse de leurs rêves, les sillons nés de leurs caresses, leurs amours copieuses. Pas une fleur sur la table, leurs mains qui froissent la nappe rugueuse, un imperceptible empressement pour tout et pour rien.
Les deux ménagent dans le tableau qu’ils me destinent de grands vides, si bien que je distingue le froissement des feuilles des aulnes, le tremblement de celles des bouleaux, vois les tourbières et les deux ponts sur le ruisseau. La rondeur de leur vie ne connaît pas la presse, ce sont des fidèles, héros qui s’ignorent, des presque rien au mot bref. Ils ont endigué les vagues menaçantes de leur rêves d’enfant, ils croquent aujourd’hui à pleines dents une pâtisserie qui étouffe leurs envies. Pas de recette pour un telle vie, ils la tiennent de qui la tient de qui l’avait.



Nés là ils ont commencé à sécréter dès le berceau l’histoire simple qu’ils emmènent où qu’ils aillent sur la terre inondée. Au mur de la chambre une bibliothèque avec les mémoires d’un octogénaire, un recueil de poèmes, un ouvrage sur la faune et la flore, de la place encore pour un livre de sermons et un mot sur la tombe. Le temps ne passe plus dans ces villages, on y vit dans des maisons cossues d’où l’on voit les roues immobiles des vieux moulins, les étalons courent dans les pâturages, les fous de la région tentent de revenir sur leurs pas dans les cloîtres des anciens couvents. Plus personne n’a droit au chapitre, le colporteur qui devient notaire n’est plus qu’un rêve.
Les rivières filent à ciel ouvert dans les village, sans s’arrêter, avant de s’abandonner dans les prés, avec des méandres et de petites cascades qui réjouissent, les dimanches après-midi, ceux qui vivent et vont mourir dans les montagnes du Jura.

Jean Prod’hom