Une utopie qui orienterait nos vies

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Cher Pierre,
Une pellicule de neige recouvre ce matin le Riau, assez importante pour que j’avance l’heure de mon départ. Inutile précaution, il y a peu de circulation sur la route de Berne et les conducteurs des chasse-neige ont fait le gros du boulot.

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C’est donc jour de rentrée, je vais enchaîner sept périodes ; je ne m’en plains pas mais en sortirai, je le crains, en petit état ; je commence par la lecture de deux chapitres du Grand Meaulnes.
Les pages au cours desquelles Augustin fait la connaissance d’Yvonne de Galais sont à l’image de la fête organisée par Frantz et de toute la première partie de ce récit : ce sont les vides qui bordent les choses, précèdent et suivent les événements, les silences d’où se lèvent et où retombent les paroles des vivants, qui les font tenir ensemble, miraculeusement, en tenant éloigné deux fois le lecteur, éloigné par ce qu’en dit Meaulnes à François, et ce que François en raconte. Ce sont les courts-circuits, les ruptures, les absences, les disparitions, les ellipses, les interruptions, le jour, la nuit, les éclairs qui font l’étrangeté et le mystère de cette fête sans contour mais aux précisions déroutantes. Réussite donc née d’une virtuosité technique et de la poursuite effrénée d’une idée, qui donne naissance et consistance à ce qui est et n’est pas, telle une utopie qui orienterait nos vies, en lui donnant une forme, un sens et une fragilité.
Travail ensuite sur le récit – avec ou sans passé simple –, lecture de La Vallée de la Jeunesse d’Eugène et rédaction du journal.
Je remonte à 16 heures, en petit état, fais un détour par la Migros d’Epalinges où j’achète une salade, du fromage, de la pâte à gâteau, des yogourts et des fruits.
Arthur ne rentrera qu’en début de soirée ; Sandra et Louise, qui a son cours de guitare, quittent la maison pour Oron. Lili me montre un dessin qu’elle termine à l’instant, c’est le portrait d’un cheval avec un oiseau perché sur le chanfrein, il ressemble à un chardonneret, c’est en réalité un rouge-gorge. Je prépare à manger.
Nous regardons après le repas, en famille, Les Visages de la terreur, un documentaire français sur la dérive des frères Kouachi et Amedy Coulibaly. Si les choses s’éclairent, l’avenir s’assombrit. Au lit les filles !
Je regarde ensuite, seul, Du côté des vivants, un autre documentaire français sur la bande à Charlie, racontée par leurs proches et les survivants de la tuerie du 7 janvier. Beau. Le monde s’éclaire à nouveau. Un peu.

Jean Prod’hom