Maupas

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Un ancien terrain vague autour duquel des promoteurs – les autorités communales peut-être – ont fait construire au milieu du siècle passé des habitations à loyer modéré, une île percée de tunnels et de dépôts pleins à raz-bord des matières brutes ou usinées dont la ville a besoin. On a maçonné de plain-pied des ateliers et des réduits d'où sortent des hommes au visage marqué. Par-dessus on aperçoit sous les toits plats recouverts de mousses humides des bureaux vides, semblables à des chambres de bonne, dans lesquelles des hommes aux mains noires de cambouis font parfois le soir leurs écritures.

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D’anciennes plaques décaties fixées sur le vieux crépi annoncent la présence sous terre d’un parking, d’un service de location de voitures et d’un vendeur de moquettes, difficile d’y croire, tout est si sombre. Se succèdent de plain-pied des ateliers : constructions métalliques et serrurerie ; garage, on y répare toutes les marques ; un dépôt de gypserie-peinture, papiers peints, entretien d’immeubles ; une carrosserie ; une entreprise de parquet-ponçage-imprégnation. Au fin fond de ce qui est devenu depuis le temps une impasse, une porte-fenêtre à triple battant s’ouvre sur un local faiblement éclairé. Un vieil homme soude les montants d’une barrière en acier à la lueur d’un néon. Il aurait pu vivre de son AVS, mais il revient chaque matin à 8 heures dans son atelier, redescend à midi dans l’ouest lausannois où il vit, sa femme certainement. Il remonte à 13 heures 30 et travaille dur jusqu’à 18 heures. Peu de machines autour de lui, un poste à souder, du désordre, de quoi scier et une vieille Colly de 1970, 30 tonnes de poussée, qui lui permet de plier à angle droit et sans un bruit, comme d’autres roulent des cigarettes, des tôles d’acier de 7 millimètres. Aucune information à l’entrée de son atelier, aucune adresse, aucun numéro de téléphone, le bouche à oreille lui a fourni bien assez de travail.
Dans la cour un parqueteur pousse un diable chargé de lames, deux ouvriers fument sous le porche de la carrosserie. Ils se retrouveront au Restaurant du Boeuf à midi, et plus tard à l’heure de l’apéro. On ne peut ici que faire une entorse à la dure loi du travail, rêver sans faire de mal à personne, j’écoute les restes d’une petite musique, il est huit heures, le ciel est bleu, le ciel est vide, quelque chose d’à peine perceptible flotte, à peine mais suffisamment pour que tout change, là où je n’aurais jamais dû être, dans ce quartier si mal nommé du Maupas.

Jean Prod’hom


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