Echec eschac skak

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Une collègue me fait part cet après-midi de son étonnement. C’est incroyable, me dit-elle, les élèves ne supportent pas l’échec. Je me retiens de lui répondre parce que je ne sais ni quoi lui dire ni par où commencer. Et puis je connais la suite : la vie est ainsi faite, les enfants dont nous avons la charge doivent s’y faire, la vie est dure, il faut apprendre à rebondir, on ne réussit pas toujours, l’échec constitue une excellente préparation à la vie professionnelle,… Je décide de me taire et me dépêche de rentrer au Riau pour lire le Dictionnaire Historique de la langue française d’Alain Rey.

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Deux histoires sont en concurrence sur l’origine du mot échec. Ce mot pourrait être une altération du latin médiéval eschac qui désignerait à l’origine l’interjection d’un des deux joueurs d’une partie d’échec, avertissant que le roi de l’adversaire est menacé. Ce mot serait emprunté au persan sah mat «  échec et mat » qu’il faut traduire par « le roi est mort ». Une seconde origine proposée par Alain Rey et ses collaborateurs fait l’économie d’un détour non attesté par le persan. Il faudrait faire remonter l’origine du mot échec à l’étymon francique skak « butin, prise », si bien que l’ancien français eschac « prise de guerre » et eschac « pièce du jeu d’échec » seraient le même mot. Echec au roi signifierait « butin, prise de guerre », échec et mat signifierait « pris et détruit, mort », qu’on joue ou qu’on fasse couler le sang.
L’école est-elle pour nos gamins un divertissement au même titre que le jeu d’échec, ou une partie qui se joue au péril de leur vie ? une propédeutique où les coups se font pour semblant ou une première aventure à la vie à la mort ? Notre société hésite mais ne tranche pas.
Dans les mondes scolaires et professionnels, le mot échec est rapproché la plupart du temps du mot échouer qui semblent appartenir à la même famille, ce n’est en réalité pas le cas. Si l’origine du verbe échouer est incertaine – on a rattaché ce mot à échoir (excidere « tomber »), à escoudre « secouer » et à exsuccare « faire sécher » – tout devient plus clair du côté de son emploi. Echouer se dit en effet des embarcations qui filent le mauvais coton, celles qui « touchent le fond » et « ne peuvent plus naviguer ». On rencontre aussi un usage transitif de ce verbe, voici les vents, ils « poussent la frégate vers la côte » où ils l’échouent. C’est depuis 1660 seulement que ce verbe a pris le sens de « ne pas réussir » avant de donner à l’homme usé par la vie, deux cents ans plus tard, l’occasion de « s’arrêter en un lieu par lassitude ».
J’ai aperçu au tableau noir d’une classe où je me trouvais ce matin le mot de résilience, on l’enseigne aux enfants dès leur plus jeune âge, ça peut servir. J’en rigolais hier, je me demande très sérieusement aujourd’hui pourquoi les parents et les avocats dont ils s’entourent depuis quelques décennies ne se sont pas mis à l’ouvrage et n’ont pas déposé une plainte devant la Cour pénale internationale de La Haye contre l'école qui met trop souvent leurs enfants en danger en les faisant échouer.
Il est heureux que les élèves ne supportent pas l’échec, mais qui bon dieu va nous faire sortir du Moyen Âge ?

Jean Prod’hom