En lisant O. Rolin






En lisant la semaine passée les conférences d’Olivier Rolin publiées sous le titre du Génie subtil du roman, j’ai eu soudain l’impression que ces conférences non seulement n’avaient pas vieilli mais qu’elles ne le pouvaient pas. Non pas tellement en raison de l’actualité de leur propos ou de leur indéniable pertinence, mais à cause de l’allure qu’elles avait trouvée sur l’écran de mon ordinateur, à côté d’autres fichiers ouverts sur mon bureau. C’est comme si leur compatibilité matérielle et formelle avec ce que j’essayais en vain d’écrire sur l’ambiguïté de tout propos libérait le texte de Rolin en en déverrouillant l’accès. Tout ce qui s’écrit est bel et bien bricolage. On le savait, en tout cas pour soi-même, il est désormais temps de l’envisager pour les textes qu’on lit.

Faudrait-il donc avoir fait un jour l’économie du livre pour que le texte se dématérialise et apparaisse enfin comme la matière vivante de la pensée? Quoi qu’il en soit et pour le coup, le sens était soudain raffraîchi, le propos allégé. Fragilisés les enchaînements, levées les barrières symboliques. Pour user d’une métaphore bientôt incompréhensible, l’encre des textes de Rolin n’avait pas fini de sécher.

Je reconduisais le mystérieux sentiment de toucher ce que je voyais se déployer sous mes yeux, en lisant ce qui s’écrivait pour la première fois, une fois encore, dans le lieu même où j’écrivais, c’est-à-dire dans l’espace même de mon énonciation. C’est sûr, Rolin avait écrit pour moi et ce texte me touchait plus que de coutume. A moi d’ouvrir d’autres perspectives dans la langue qui nous est commune. Il suffisait d’écrire la suite, je m’y emploie. Lire ou écrire, c’est chaque jour d’avantage le même.

Est-ce que nos pratiques de lecture et d’écriture, le rôle du commentaire qui a si souvent verrouillé le sens supposé, ne vont pas prendre un autre tour, bouleverser l’enjeu accordé à la lecture, à l’écriture, déplacer effectivement leurs frontières?

Le texte est lieu de passage qui mène celui qui s’y risque en ses bords. Mais désormais il n’y a plus à avoir de vertige. Le texte déborde en tous lieux sur d’autres textes, qu’il s’agit de lire ou d’écrire. Il y avait autrefois entre les livres de nos bibliothèques des gouffres sacrés que canonisait l’exercice du commentaire ou du compte rendu. L’horizon est à nouveau ouvert, comme quand est apparu le livre. On recommence, mais avec d’autres vertiges.

Il y a désormais entre les textes, en-dessous et au-dessus d’eux, d’autres textes qui s’emboîtent à l’infini, s’appellent et se répondent, prennent des initiatives ou patientent. Comme si la pensée en exercice avait trouvé un nouveau lieu, un nouvel attribut, comme les corps ont trouvé l’étendue. J’ai eu le sentiment que les textes plus que jamais trouvaient leur lieu naturel dans le texte et non plus dans les bibliothèques. S’il ne constituent pas l’être, le texte constitue l’un de ses attributs essentiels.

Le livre a laissé filer ce qu’il retenait jusque-là serré entre ses mâchoires, reste l’entretien infini, la pensée qui pousse les hommes à y voir un peu plus clair parce que ce qui est convenu n’a jamais suffi. Le texte m’accueille un instant, m’héberge le temps d’un voyage qui me mène en ses bords, là où j’écris, de guingois, pour cet autre lecteur qui passe. Ce qu’on lit c’est l’inassouvi qui fait vivre le texte que l’on écrit.

Mais revenons à l’essentiel, il faut lire les belles conférences d’Olivier Rolin.

Jean Prod’hom