Personne n’a jamais entendu la gamine élever la voix

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Personne n’a jamais entendu la gamine élever la voix, tout le monde pourtant s’en souvient, elle avait l’art délicat de faire précéder chacune de ses réponses par deux ou trois hochements de tête, lents, de consentement, qu’un sourire de tout le visage accompagnait et qu’elle répétait tandis qu’elle parlait. C’était comme une mise à terre qui nous assurait qu’elle avait bien compris notre intention, mais qui nous prévenait également qu’elle ne nous en en dirait pas plus et qu’il serait inutile d’insister, quelle que soit la teneur de sa réponse.

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Lorsque je l’ai connue il y a quelques années, elle étudiait en secret le japonais ; de ne rien dire de cette passion, trois ans durant, de ne pas songer à la partager, de la maintenir ainsi intacte, l’avait conduite à faire circuler, à son insu, le charme en partie imaginaire qu’elle prêtait à cette langue et à cette culture qui l’envoûtaient. Cette différence indicible, légère en direction de laquelle son esprit tendait et dont elle ne savait trop quoi dire, l’avait rendue différente des autres.
Par ces hochements de tête, elle indiquait à qui voulait l’entendre que la conversation pouvait avantageusement remplacer l’interrogatoire, le consentement la panique, la mise à terre la mise à mort. Elle soufflait à ses maîtres et maîtresses que des baguettes pouvaient se substituer aux couteaux et aux fourchettes pour observer, pincer, approfondir, être au monde.

Jean Prod’hom