Ecoles à Berne

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Ecoles à Berne, c’est le nom d’une aventure à laquelle j’ai participé et qui m’a enthousiasmé. Trois classes dont j’ai eu la responsabilité au Mont-sur-Lausanne, en 2010, 2013 et 2014, ont eu en effet la chance de se rendre dans la capitale toute une semaine, une semaine organisée au piccolo par une équipe très décidée et consciente de l’importance d’un tel événement pour des adolescents.
J’y participerai une quatrième fois en 2015, c’est sûr. Mais on me dit aujourd’hui que le financement de cette belle affaire n’est pas assuré à long terme. C’est dire que si je veux y retourner une dernière fois avant ma retraite et faire profiter une dernière volée en 2017, il faut que je me décarcasse et convainque ceux qui pourraient hésiter.

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Disons d’abord que c’est un jeu qui a le mérite de remettre en perspective la question du politique en la reprenant depuis le début, c’est-à-dire dans l’espace réduit d’une classe réunissant des personnes qui ne sont ni de la même famille, ni ne se sont choisis. Que fait-on là, ensemble, pendant ces années d’école? Qu’a-t-on en commun? Si nous sommes en désaccord avec le monde dans lequel nous vivons, peut-on le changer. Peut-on trouver un terrain d’entente? Faire des alliances? A quel prix et avec quelles conséquences? Veut-on obtenir quelque chose immédiatement ou changer les choses en profondeur et à long terme? Comment déplacer les mentalités? Accepterons-nous de perdre? Que ferons-nous de nos victoires?

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Le jeu démocratique dans lequel une société s’engage en acceptant ses règles est un jeu en tout point analogue à celui qui est proposé par Ecoles à Berne – mise à part la modification effective de la Constitution fédérale. C’est dire que le second jeu est aussi sérieux que le premier. Il est en outre, du point de vue de l’enseignant que je suis, hautement formateur. Je voudrais mentionner brièvement deux ou trois choses que les élèves ont été amenés à rencontrer et qui leur ont permis d’aller plus avant dans des problématiques que l’école se doit d’aborder.

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Les programmes scolaires ont longtemps insisté sur le pacte de 1291, ils se sont tournés il n’y a que peu en direction de 1848. Il convient aujourd’hui de mettre l’accent sur cette période non seulement parce que la Constitution régit aujourd’hui encore notre vie politique mais parce que l’histoire du fédéralisme a encore beaucoup à nous apprendre.

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Le jeu proposé par Ecoles à Berne, centré sur le dépôt d’une initiative fédérale, oblige les participants à comprendre du dedans nos institutions, à en éprouver les contraintes, à en interroger les faiblesses et les points forts.

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La vie à Berne, pour un enfant de ce côté-ci de la Sarine, est une découverte. Non seulement celle d’une autre langue, mais aussi celle d’une autre ville. Les organisateurs ont bien fait les choses ; ils proposent en effet aux participants, à côté de leurs travaux parlementaires, une visite de Berne, celle du XIXème siècle, des ambassades et de la vie politique actuelle.

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Faire manger dans le même réfectoire des ressortissants des cantons de Thurgovie, Argovie et Vaud n’est pas sans conséquences. En les obligeant à se mettre d’accord ou, pour le moins, à trouver une solution qui satisfasse chacun, les participants prennent conscience en commission ou en plénière que les différences culturelles et linguistiques ne sont pas toujours à la source de conflits mais, paradoxalement, l’occasion d’être ensemble pour trouver des solutions satisfaisantes.

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Pas d’action sans anticipation et stratégie, pas d’argumentation sans préparatifs, collecte et organisation d’informations, utilisation fine de la langue, mots choisis, un à un.

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De ce point de vue, le jeu permet à chacun de comprendre que pour convaincre celui qui n’est pas convaincu, il ne suffit pas de l’être, qu’il s’agit d’abord de mieux comprendre ce que croit l’autre, de déterminer les objets sur lesquels il ne cédera pas, de lui concéder ce à quoi on peut renoncer. Du point de vue de l’utilisation de la langue dans son versant argumentatif, Ecoles à Berne est une mine aux dimensions du réel qui ne saurait être remplacée.

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Travail de longue haleine donc, bien avant la semaine qui se déroule à Berne. Autour d’un objet qui se révèle toujours complexe. L’étude de texte ne suffit pas, il faut en appeler à la genèse de la problématique, aux différentes réponses qui en ont été données, celles des cantons, des états, des spécialistes… L’élève est invité à aller à la rencontre d’objets de connaissance qu’aucun domaine disciplinaire n’a pris en otage. Au contraire, l’élève doit saisir cet objet dans ses différentes dimensions et, pour cela, s’en référer à ses dimensions historique, géographique, linguistique, sociologique…

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Obligation donc pour les enseignants de se soumettre à une logique de l’objet plutôt qu’à une logique des programmes et des disciplines. Disons que de ce point de vue, l’affaire n’est pas gagnée.

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Tout va très vite à Berne, rien ne serait possible sans une organisation dont tous les participants sont les maîtres d’oeuvre. Accepter que l’un d’entre eux prennent la tête du groupe, choisir un vice-président, prendre des initiatives, ne pas jeter le discrédit sur celui qui n’en prend pas, respecter l’ordre du jour, être à l’heure, déléguer.

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(Voici le stratège du groupe, il s’ignorait jusque-là, il imagine un scénario pour obtenir la vice-présidence du Conseil national, impossible de viser la présidence, les Suisses allemands sont trop nombreux. Voici une conseillère nationale qui en veut, ne lâchera pas ses adversaires avant de les convaincre, gagner quelques voix ici en allemand, là en anglais, mais aussi avec les mains. Un membre veut faire bande à part, l’exclura-t-on du groupe?)

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Il n’est pas inutile de rappeler que les parents des élèves que j’ai accompagnés m’ont souvent encouragé à remettre l’ouvrage sur le métier avec les cadets de leurs enfants. Rappeler aussi que les autorités communales n’ont pas hésité à aider substantiellement les familles dans la réalisation de ce projet. J’en suis persuadé, cet investissement professionnel et financier n’est pas vain. Mais je crains que les autorités scolaires cantonales n’ont pas assez prêté l’oreille à ce qui se déroule à Berne depuis quelques années, pas assez prêté leur concours pour convaincre et aider les enseignants à y participer.

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Le jeu se termine le jeudi, dans la salle du Conseil national, par une plénière à l’occasion de laquelle les différentes initiatives populaires sont présentées et discutées, avant que la majorité ne recommande au peuple de les accepter ou de les refuser. Tous les participants, en principe, montent à la tribune.

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Quelque chose m’a toujours sidéré à cette occasion. Le soin que les jeunes orateurs apportaient à leur intervention rédigée la veille, répétée au réveil, la manière dont ils montaient dans le tram numéro 9, se préparaient pour cet instant guère plus long qu’un éclair, la manière dont ils se levaient pour se rendre à la tribune, ajustaient le micro, posaient leurs notes et leur voix, s’adressaient à leurs collègues. Pour quelques mots, quelques mots qui venaient de loin puisqu’ils étaient le fruit d’une année de travail, de lectures souvent ardues, de discussions longues. Oui, aurait certainement dit Socrate, dire quelque chose est chose difficile.

Jean Prod’hom