Esaïe et Johnny

Corcelles

Le Chat a passé la frontière dans la nuit de mardi à mercredi sans boucler sa valise. Deux jours ont passé, un culte a été célébré samedi après-midi à Corcelles, l’église était bondée, les visages un peu vides. La tristesse a fait une longue halte, on était là comme ceux qui n’avaient rien vu venir. Les petites orgues ont donné le la, petite livraison de nuages, puis le pasteur a prêté sa voix à celles d’un prophète, d’un apôtre, d’un évangéliste et d’une idole. Je n’ai pas eu l’impression qu’Esaïe, Paul et Jean se soient fait entendre, leurs mots de lie ont eu le mérite pourtant de faire un barrage aux larmes. Mais lorsque Johnny Halliday a dit Ami, plus personne n’a su à quel saint se vouer, on a bien cru que le pasteur prêchait pour une autre paroisse. Les murs de l’église ont molli, le soleil est entré, certains ont perdu le nord. On en redemandait encore, le pasteur a activé une petite télécommande pour faire entendre Si c’était à refaire et Vivre pour le meilleur si bien que le soleil de midi a clairé deux fois encore minuit. On s’est quittés sur le perron, les gens se sont dispersés pour aller mettre du vin dans leurs angoisses et rire aux éclats.

Corcelles 807
Corcelles-le-Jorat | Google Earth, 1 août 2012 | élévation : 807 mètres

Le corbillard a emmené le Chat, tourne tourne, laissé à sa droite la belle allée qui monte au cimetière à la sortie du village, vire vire, continué tout droit en direction de Lausanne, roule roule, au centre funéraire de Montoie où a eu lieu la crémation.
Je pense aujourd’hui à cet homme, reste reste, qui a vécu sa vie ici au Riau et que plus rien ni personne ne retient, pas même le cimetière. Personne ne veut remonter le temps, revenir à l’été et s’inventer des mirages. Il ira plus tard rejoindre les siens, on écrira un mot dans le marbre. Rien ne commence si c’était à refaire.

Corcelles
Corcelles-le-Jorat | Google Earth, 1 août 2012 | détail

Jean Prod’hom