Ardèche loisirs

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On part, Sandra, Oscar et moi sur le chemin à ornières qui prolonge la route après le parking d'où l'on a rejoint le Chassezac hier en fin d'après-midi. Personne encore à la rivière. On longe une châtaigneraie dont un réseau de tuyauterie assure l'arrosage. Un treillis nous empêche de poursuivre, on se rabat vers l'intérieur à travers les vignes jusqu'au hameau de Tournayres. La buvette d'un camping est ouverte, on y boit un café. Les serres dénudés de l'autre côté de la rivière, les arbustes nains, les petites vignes, le mélange du labeur et des loisirs, des estivants et d'une paysannerie restée prise dans une mécanisation primitive, la caillasse, le silence, l'heure matinale et la chaleur qui se lève me font penser à d'autres lieux, il ne manque que les ânes pour nous transporter plus au sud, les Baléares, la Sicile, la Crête, ou Patmos.

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On passe la fin de la matinée à l'ombre, lecture des Ardèche loisirs 1999, 2000, 2003, 2005, 2006. J'y apprends que la grotte Chauvet a été découverte en 1994 par Jean-Marie Chauvet, Eliette Brune-Deschamps et Chtristian Hillaire. Petite pensée pour les deux derniers qui n'entreront pas dans la postérité. J'apprends que les datations des peintures murales ont été effectuées à Gif-sur-Yvette : 30'000 à 32'000 ans, plus vieilles que celles de Lascaux.
J'apprends en outre qu'au début du XXème siècle, l'Ardèche comptait 1347 alambics, il n'en restait qu'une vingtaine lorsqu'une ordonnance, celle du 30 août 1960, annule la transmission du privilège de distillation de père en fils.
Ce n'est pas tout, les femmes ardéchoises couvaient les oeufs des vers à soie placés dans un morceau de tissu qu'elles mettaient entre leurs seins ou sous leurs jupes, c'est l'éclosion au nouet ; on appelle les magnaneries les chambrées de vers, moulinier celui qui transforme un faisceau de brins en fil par torsion et assemblage, soie grège la soie en cocon; la pébrine décime les élevages de vers à soie au milieu du XIXème siècle, plus de 30 000 Ardéchois quittent le pays ; si on compte en 1874 45'200 sériciculteurs, on n'en compte plus que 19'000 en 1913, 5'000 en 1938, 1'000 en 1957; on produit au XIXème siècle jusqu'à 3'000 tonnes de kilos de cocons en Ardèche, 16 tonnes en 1961, 3 tonnes en 1967. En 1968, l'Etat supprime l'aide à la production ; on appelle béalière le canal amenant l'eau à la roue du moulinage, faïsses ou acciols les terrasses cultivées ; on appelle couradou ou fialage le balcon couvert ouvrant sur l'extérieur par de larges arcades, c'est précisément dans un couradou ou un filage que je rédige ces notes.
Après-midi sur la rive droite du Chassezac, au-dessous de hautes falaises desquelles les enfant plongent. On les surveille, l'eau jusqu'à la taille, sans jamais perdre pied, comme ces Italiens du sud qui ne savent pas nager. On lit tant bien que mal, avec la chaleur qui fait fondre nos vertus, les pierres qui roulent sous notre dos, on souffre en silence comme des fakirs.
Je lis la première partie du Journal de Pierre Louÿs, l'exposition de ses motifs en date du 24 juin 1887 est de bonne augure, le gaillard a 16 ans et ne manque pas d'ironie. Il admire Hugo et ne comprend pas la direction qu'a prise l'éducation, la séparation des sexes, la voie du dressage précoce. La suite est souvent moins gaie, il liste les livres lus, les concerts entendus, les pièces de théâtre auxquelles il a assisté. Vif portrait de Michel Bréal, une petite chouette avec des sourcils de hibou, un nez de faucon, une bouche de carpe, qui lui fait passer un examen en novembre, belle évocation de sa cousine T avec laquelle il polke et valse tout un été à Tréport, de Jules Ferry qui a donné aux Français à la fois la Tunisie et la gratuité de l'enseignement.

Jean Prod’hom


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