La femelle couve

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Cher Pierre,
La femelle couve, sans broncher, puis change de position ; j'entends tout autour, sans le voir, le mâle qui s'inquiète ; les laisse à leur travail et vais au mien. Sors la tondeuse du poulailler, pour la première fois cette année, c'était le dernier moment ; deux heures feront l'affaire.

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Théâtre des Osses | Café littéraire (7 mai 2015) | Focus sur les éditeurs romands

Tondre ne met pas la tête à l'endroit, ni à l'envers, ne l'emballe pas non plus ; me reviennent toutefois à l'esprit une ou deux choses de la soirée à Givisier : la voix de Roger Jendly, liquide, goûteuse, mélangée à un peu d'hélium ; celle d'Anne Jenny, perchée, nerveuse ; celle de Geneviève Pasquier au goût de framboise, charnue ; celle de Nicolas Rossier, pensive, analytique. Mais aussi la précieuse gentillesse dont ne se départit jamais Jasmine, soucieuse ; l'oeil amusé de Pascal, Claire et Denise, et puis la généreuse hospitalité de toute l'équipe du café littéraire. Mais pas que. Il y également ici et là, bien apparentes, les certitudes et ses alliées, la suffisance et la surdité ; elles donnent toutes les trois l'envie de fuir. Entre deux les habituels propos nés du Grand partage : nous c'est le roman, vous la poésie, eux les témoignages ou les récits de vie. Il est parfois préférable de se taire.
Et ce désir de fuir, de laisser tout en plan, je l'explique par la présence, où qu'on soit, de deux types d'individus : ceux qui sont bien décidés à conquérir le monde, quel que soit le prix que d'autres auront à payer ; ceux qui, rongés par un ennui malfaisant, passent leur temps à se faire des ennemis pour ne pas être seuls et oubliés.
C'est décidé, je laisserai le gazon monter en herbe en-haut dans le verger, pour les papillons, les scabieuses, les marguerites, les bleuets, les centaurées. J'y taille une allée, étroite, pour Lili et ses chevaux, et des contre-allées qui se mettent à tourner autour du cerisier, du pommier, du prunier, du cognassier, la serre et les escaliers.
Louise et Lili mangent à l'école, je fais l'impasse sur le repas, vais jusqu'à Servion, m'installe sur la terrasse du motel des Fleurs avec Le Moindre Mot de Gil Jouanard. Me rends ensuite à la COOP d'Oron, il pleuvine.
Sandra est à la maison, on fait l'état des lieux, je lui raconte la visite de l'architecte ce matin : les échafaudages seront dressés mercredi prochain ; Sandra pense à tout, elle a installé un rudiment de cuisine dans le garage, nous sommes parés. Je râtèle l'herbe devant l'entrée et la véranda.
L'avion qui rentre de Stockholm a du retard, Sandra diffère d'une demi-heure son départ, on mangera sans eux la quiche et la tarte aux pommes que j'ai préparées. Je laisse filer la journée, bien décidé à ne rien en retenir sinon, tout à l'heure, le retour d'Arthur.

Jean Prod’hom