C’est le 21 août 1989

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C’est le 21 août 1989, il est 7 heures 30. La salle de classe est encore vide, mais des piles de livres et de cahiers trônent sur le bureau ; avec des agendas, un horaire, un programme, des chartes, des tableaux, des listes, une chaîne téléphonique, les dates des devoirs surveillés, du petit matériel, l’inventaire des tâches, des règlements et l’échelle des sanctions.
Tout devait aller droit lorsque les gamins entreraient ; c’était à moi de plier, si nécessaire, l’imprévisible aux impératifs, de le marier au dispositif, de le courber aux objectifs. Et si, malgré toutes les précautions, un peu de vie trouvait une ouverture, il suffirait de lui faire une petite place, ou de le feindre. L’imprévu s’épuise vite si on prend les mesures nécessaires, surtout qu’il ne fasse pas tache d’huile : fermer les portes et les fenêtres, et lui aménager une niche aux dimensions de la page A4. L’embarcation aurait tôt fait de rejoindre l’invisible chenal que chacun emprunte depuis 1803, de génération en génération.
J’ai voulu très modestement, à mon échelle, remettre sur ses pieds une école qui allait sur la tête, empoisonnée par des idées et des partis pris, une institution constamment sur le qui-vive, devenue timorée, méfiante, frileuse.

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Dernière rentrée scolaire demain matin. Sur un post-it, le rappel de quelques rendez-vous pris l’année dernière, et quelques fragiles convictions : les gamins ne sont pas des idiots et l’occasion fait le larron ; l’imprévisible fait partie de notre condition et certains biens sont souvent mal acquis ; la connaissance ne se construit pas brique à brique ; les programmes ne viennent qu’à posteriori souligner l’importance qu’une génération donne à certaines choses et à certains événements ; les nouveautés apparaissent à ceux qui acceptent d’avancer désarmés et parfois déboussolés...
Bien dormir surtout et m’y rendre sur un tapis volant, prendre les vents ascendants et ne pas les détourner de l’essentiel : lire, se repérer, écrire, observer, dire, balayer, raconter, calculer, s’égarer, écouter, rêver passer... Autant de verbes consubstantiels à nos vies. C’est déjà ça.

Jean Prod’hom