Dans l'oxymoron, il y a l'esprit de la capitulation

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Je me réveille dans un drôle d'état, pas mécontent d'avoir pris la tangente, de ne pas être resté dans ce parking. Je viens de glisser le corps d'un inconnu dans le vide-poche, je trie accroupi des habits, dernière place côté de l'Ecole hôtelière, sous la station Agip, tente de regrouper l'essentiel. Surtout ne pas oublier le billet, de train ou d'avion, je ne me souviens pas, surtout ne pas laisser ce billet dans l'un des habits que je n'emporterai pas, je suis seul, conscient d'avoir commis l'irréparable, je ne connais pas l'identité de la victime, il y a des choses aussi importantes que son identité, mais quoi ? et pour aller où ? J'essaie de me rendormir pour en avoir le cœur net, sans succès. Me retrouve dans une humeur double, heureux de ne pas avoir commis l'irréparable, mais déçu de ne pas savoir ce qui me serait advenu, au risque de me réveiller du mauvais côté.

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Dans l'oxymoron, il y a l'esprit de la capitulation. Comme d'ailleurs dans tout usage servile de ce que la rhétorique a inventorié. Il s'agit d'explorer aujourd'hui d'autres relations, à l'intérieur du mot, du groupe de mots, de la phrase, du paragraphe, du texte, ailleurs encore. En suis-je capable ? Evidemment non, mais j'en pressens la nécessité.
Les mauvaises herbes s'attaquent avec le même succès aux bords des routes, aux prés abandonnés, aux parents oubliés. La folle avoine entoure aussi bien les coquelicots que les fleurs artificielles dans les cimetières, les premiers chantent les fragiles renaissances, les secondes rappellent l'impossible résurrection. Le cimetière de Colonzelle mérite le détour, la mauvaise herbe y monte à l'assaut de la mémoire des vivants.
On quitte la Drôme pour l'Ardèche à 15 heures, aidés par le GPS qui nous propose Pierrelatte par Montségur-sur-Lauzon : le village est de cire, on le sait vivant, mais on en doute. On traverse un paysage de fin du monde, avec les toits bas comme à Dax, le désert autour et le réel qui ne réagit pas.
De Bourg-Saint-Andéol, on prend la direction de Vallon-Pont-d'Arc où l'on se mêle un instant à la foule. Suzanne est partie avec les enfants se baigner dans le Chassezac. Jeremy nous attend à Rouveyrolle, un hameau vide à cette heure. On décharge la 807 dans la cour intérieure de cette ancienne unité agricole, avec une lumière et une ombre qui l'isolent du monde. Une galerie met en relation l'ancienne magnanerie avec le corps de l'habitation recouverte de larges et lourdes dalles de basalte. Elle est comme le pont d'un navire, assez large pour qu'on y mange, assez en pente pour qu'elle produise un vertige. Un autre monde double le premier en prenant appui sur le puits d'ombre qui réorganise le dedans avec le dehors si bien qu'ils sont l'un dans l'autre et que l'étrange sensation d'être dedans et dehors ne nous lâche pas.
On rejoint les autres sur les bord du Chassezac. Après-midi au soleil, les pieds dans l'eau. Soirée à parloter tandis que les enfants organisent leur campement. On se couche à minuit. Lis les dernières pages d'Apprendre à finir, un sombre récit de Mauvignier. J'espérais que quelque chose viendrait illuminer le désastre qui en est l'origine. Rien en définitive, mais passage sur l'autre face d'une bande de moebius qui se referme sur quelque chose qui dure. Qui se referme et reprend, à peine décalé, ce qui ne finit pas.

Jean Prod’hom


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