Recommencer même s’il est tard

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Cher Pierre,
Tout est joué, je n’y puis rien ; chacun est emmêlé dans la combinaison que lui ont laissée ceux qui l’ont précédé. Un mot dit de travers ou mal entendu ne s’efface pas, pas plus qu’une croyance partagée par le grand nombre, ou une rumeur, ou un mirage acoustique, c’est la donne. Cartes orphelines, maigre paire ou quinte floche, qu’importe, personne n’en sait rien, tous perdus dans l’étendue et en équilibre sur une pointe plus acérée que celle d’une épingle, avec l’assurance que le rien qu’on tient dans la main déborde, lorsqu’on l’ouvre, bien au-delà de la Crimée.

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La Maison de l’Ecriture depuis le deuxième étage du Mottier C

On tâtonne somnambule, on se saisit yeux fermés de ce qui semble à notre portée et on le déplace derrière nous, ou dans une boîte, dans sa mémoire ou une poche. Parfois ça n’y entre pas ; on s’avise alors que les propriétés de l’étendue interdisent que nous continuions à faire comme on l’a fait jusque-là, entravent notre marche, nous amènent à surcharger notre existence, ou l’autorisent, mais à des conditions trop coûteuses. Quelque chose cloche, coup de sac, l’avenir décidément ne suit pas le passé.
Les fidèles s’empressent de nier le tout en bloc, les puristes refont des calculs, les opiniâtres se lamentent au pied de l’impasse. Les joueurs, eux, recommencent, à côté ou à l’envers, très sérieusement, sans se préoccuper de leur isolement, sans s’inquiéter des voisins. J’ignore s’il faut du courage, s’il faut être champion des causes perdues, enfant ou idiot pour lever à nouveau le voile, en se décalant, en prenant du retard, en marchant à contre-temps ou à contre-sens, et tout recommencer même s’il est tard.

Jean Prod’hom