Ligatures



Un être humain sans ombilic, c’est évidemment inconcevable ! Mais j’avoue qu’il m’est plus difficile encore d’imaginer que ma mère ait pu en posséder un avant ma naissance. Pensez donc. À moins d’admettre, évidemment, qu’elle ait donné naissance à un autre moi avant moi.

Quatre girafons et un lama, des tigres et des tigrons, deux pandas et leurs petits, une coccinelle et un yéti, oursons, loups, chiens et chats,... 807 peluches. Trop c’est trop. Mais qui les nourrira petite Lili ? Viens vite, prends avec toi Jeannot Lapin et Antilopa. Assieds-toi là, près de moi. Il est temps, je crois, de t’enseigner comment castrer un lapin papillon et ligaturer les trompes d’une gazelle de la reine de Saba.

Jean-Rémy en avait rêvé depuis toujours, être chez lui, vraiment chez lui et ne rien devoir à personne. Sitôt qu’il le put, il acheta une petite maison dont il condamna aussitôt les ouvertures, il fit dresser des palissades tout autour du jardin, il renonça enfin au téléphone, à l’électricité, à l’eau, bien trop intrusifs.
Mais ce matin Jean-Rémy souffre, un couteau sur le ventre. Lui reste la plus délicate opération : se débarrasser de ce que sa mère lui a laissé, un petit morceau de chair, cet ombilic qui ne lui appartient pas.

Jean Prod’hom
13 avril 2010