Là : un oiseau pourrait se poser

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Les ouvriers ont tourné le dos aux pelles et aux pioches, cherchent l’ombre, les cloches de l'église lâchent alors leurs douze coups. Deux sonneries prennent le relais, les enfants se pressent hors du collège et quittent la cour, à la hâte, comme les aigrettes d’un pissenlit. T’as beau chercher, il n’y a bientôt plus personne, des ruines. On entend dans le lointain le bruit d'une fourchette contre une gamelle et on devine le vent dans le gréement des ombellifères. Partout une respiration, creuse et profonde, un souffle au large bord qui pousse le silence bien au-delà de ce qu'on peut entendre.
J'avais 10 ans et habitais Riant-Mont, j’étais seul comme seul un gamin peut l'être, la chaine des raisons avait lâché, mes héros s’étaient éclipsés, plus de oui mais, plus d’histoires, seul aux prises avec un dimanche vide, sur une place immense que je crois reconnaître aujourd’hui. Il est midi, ma tête finit de se vider. Le silence se met à grésiller comme un vieux 33 tours, le lointain s’élargit au-delà des limites du chantier. J’ignore bien comment la routine reprendra la main sur cette fondrière.

Là : un oiseau pourrait se poser, sans crainte.  

A 13 heures un innocent jette la première pierre, puis un deuxième et un troisième, d’autres terminent les travaux, la paix se rétracte, les camions ouvrent alors leur gueule.

Jean Prod’hom