J'ai retrouvé le bichon maltais de saint Augustin

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Cher Pierre,
On quitte le Riau à un peu plus de 7 heures, la brouille est épaisse entre la Moille Baudin et l’Escargotière ; Sandra, qui est au volant, a besoin de toute son attention pour ne pas tomber dans ses filets.

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C’est une autre densité qui nous attend à Crissier : le cortège des pendulaires, trois colonnes de véhicules qui roulent à plus de cent kilomètres à l’heure, pressés, sur les dents, réduisant les distances qui les protègent, eux et les autres.
J’imagine un bref instant ce qui aurait eu lieu si l’un d’entre nous avait perdu les pédales, j’imagine le grincement des freins qui répondent trop tard, la catastrophe contre laquelle on bute, le vacarme de la ferraille qui claque puis se tord, le silence ensuite ; quelques gémissements bientôt, les pleurs d’un enfant venus de dessous les tôles, plus loin un homme qui titube, puis quelques cris, étouffés, glaçants. Chacun a trop tiré sur la corde, chacun attend penaud l’arrivée des ambulances dont on entend bientôt les sirènes, sinistres, qui déchirent l’espace. Des voix bienveillantes remplacent enfin les hurlements des sirènes.
Il va falloir tout recommencer, annuler la journée prévue, tout ; oublier une partie de son passé, anticiper une autre suite, une nouvelle fin d’année, une nouvelle vie. Dommage. Pourquoi autant de sottise, d’inconscience, autant de stupidité ; il ne nous en aurait rien coûté, ou si peu ; rouler plus lentement, laisser une plus grande distance entre nos voitures ; on a joué avec le feu, trop tard. Je suis dedans, je suis vivant, et les autres ?
La circulation se fluidifie depuis Aubonne et je me détends. On s’envole avec une bonne demi-heure de retard parce qu’il a fallu changer d’avion. On survole les Alpes qui baignent dans une crème épaisse, avec le Mont-Blanc qui dépasse à bâbord. Le ciel s’est éclairci lorsqu’on plonge sur Venise. Et cette ville, qui était d’abord un nom et des souvenirs, en direction de laquelle mon esprit s’est tendu, fait voir soudain ses lourdeurs, belles encore, à mesure que nous nous en approchons.
On quitte le Vaporetto 1 à San Zaccaria où la responsable de l’agence nous attend pour nous conduire Borgo San Lorenzo 5091, au deuxième étage ; de la terrasse on aperçoit les toits et les campaniles de San Lorenzo, San Giorgio dei Greci, Sant’Antonino ; on entend à 18 heures leurs cloches.

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Nous ressortons sitôt arrivés, traversons la ville jusqu’à San Marco et le Rialto, à deux pas du Grand Canal qui déverse sur ses berges un flot sans fin de touristes et de babioles. C’est devant le Punto, où Sandra et les enfants sont entrés pour faire quelques emplettes, que j’aperçois soudain sur le seuil, miracle, le bichon maltais de saint Augustin, resté à la fenêtre de la Scuola San Giorgio degli Schiavoni. Je le lui ramènerai demain, on habite tout près ; il suffit de franchir le Rio San Lorenzo, de traverser la belle place blanche de chaux qui borde l’ancien hospice, passer le pont, on y est. La Scuola est ouverte tous les jours de 9 heures 30 à 17 heures.

Jean Prod’hom


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