J'ai cru voir un chardonneret

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Cher Pierre,
Ce vendredi de congé est le bienvenu, j’en profite pour faire un grand tour dans les bois avec Oscar, une piéride nous accompagne sur le long chemin de traverse entre le refuge de Corcelles et l’ancien étang. Je lis à la Mussilly les premiers fragments de la vie de Henning Mankell, bouleversants. Une seconde génération de pâquerettes se mêle, ici et là, aux tapis de feuilles mortes, j’ai cru voir un chardonneret.

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Je reviens à René Girard ; les universitaires n'étaient pas très nombreux, dans les années quatre-vingts, à le prendre au sérieux. J’étais à l'université de Lausanne et m'en rappelle bien. Ce qui ennuyait les intellectuels de ces années-là, c’étaient, je crois, les propriétés de symétrie et de réflexivité de sa théorie : les mêmes types de causes doivent expliquer les croyances « vraies » et les croyances « fausses »; les modèles explicatifs doivent s’appliquer à la sociologie elle-même.
Et lorsque j'ai évoqué la possibilité de faire une thèse de philosophie autour de l'idée de conversion, à la lumière des réflexions de René Girard et de celles de Thomas Kuhn sur les révolutions scientifiques, alors que je suivais en fin de semaine les cours de Michel Serres à la Sorbonne – qui fut l'un des seuls à soutenir le sociologue –, juste avant qu’il entreprenne une lecture girardienne du Ab urbe condita de Tite-Live, j'ai eu soudain le sentiment, au milieu de la ville, d'être un étranger parlant une autre langue. J'ai vite renoncé à la thèse, terminé mon mandat d'assistant, décidé à prendre une autre direction, là où il n'y a personne, là où les médiations sont lointaines, sur les bords de mer. Je me réjouis encore aujourd’hui de cette conversion.
Vincent passe en début d’après-midi, on glisse sous le poêle une plaque de tôle noire. Je profite de changer les pierres ollaires du foyer. Je descends à 19 heures 30 au village rejoindre le comité du TCPM, c’est la fin de saison. Je remonte au Riau un peu avant minuit.

Jean Prod’hom