Seul l’incompréhensible tient ses promesses

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Cher Pierre,
Ils sortent tous de leur tanière les semaines qui précèdent la rentrée, vont et viennent, vendent leur marchandise. Puis vient l’automne, ils rentrent dans leur repaire jusqu’au printemps suivant. Je ne voyais pas les choses ainsi, j’imaginais des rentrées et des sorties à chaque saison, des entre-saisons, des arrière-saisons, des miracles à chaque lunaison, des portes ouvertes, entrez ! des portes fermées, ne me dérangez pas ! des brouillons et des mises au net, des ateliers et des chantiers, la littérature s’en nourrit, elle en est une partie, la seule à pouvoir le dire. Ne pas jeter la pierre, la saison est courte.

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Me revient à l’esprit l’aphorisme de Nietzsche (335) du Voyageur et son ombre : Morale pour ceux qui bâtissent . – Il faut enlever les échafaudages lorsque la maison est construite. Les sites et les blogs attestent à leur manière qu'écrire et lire n’épousent pas le calendrier liturgique collectif. Non pas qu'il faille rompre avec le travail dans l'ombre, mais reconnaître que le jour et la nuit connaissent d’autres alternances.
C’est ce que je me suis dit ce matin en redescendant avec Oscar de la Moille-aux-Blanc. Je m’attaque au compte rendu de la course de trial qui a eu lieu dimanche à Oerlikon, le dernier de ma carrière de journaliste sportif – elle aura duré deux saisons. Philippe m’envoie quelques photos.
Je laisse tout en plan à midi et file à Mézières offrir à Elsa son cadeau d'anniversaire. Je continue jusqu’au Mont, patiente immobile une petite heure dans la salle des maîtres, ça me fait du bien, sans rien faire, sans rien dire, avant de faire travailler les élèves de la 9P : ils écrivent à tire-larigot, chantent, photographient, nourrissent aussi généreusement que possible le site internet qu’ils partagent avec leurs camarades de la 9G et de la 10P. Il pleut sur le cimetière, la pluie ravive l'ocre, le cuivre et la rouille qui remontent, à la cime, les veines des feuilles des feuillus.
Je termine au café de l’Union les chroniques de Daniel de Roulet, Tous les lointains sont bleus. Je me régale de tout ce qui rend les voyages incomplets, inachevés, fragmentaires, imprévisibles, ratés et mystérieux. Et si l'écriture a la vertu d’assurer une ou deux choses contre l'oubli, elle offre également le meilleur à ce qu'on ne comprend pas, à ce qui nous échappe, auquel elle donne une forme et un avenir. Seul l’incompréhensible tient ses promesses.

Jean Prod’hom