Logis de la Licorne à La Ferrière

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Cher Pierre,
Sur le balcon du premier étage du Logis de la Licorne, à La Ferrière, le soleil fait ses œuvres à l’endroit même où la fraîcheur de la nuit s'attarde. J’aurais voulu que les choses aillent de ce pas jusqu’à l’autre bout du jour.

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J’y suis encore : devant, le potager, deux chevaux, des roses, une banque, la voie de chemin de fer, des géraniums, le grincement d'une balançoire avec deux gamins dessus, un randonneur qui demande son chemin. A gauche, la cime des tilleuls du parc jouxtant la maison d'Abraham Gagnebin, un parking. Sur la bute l’église. Des voix me parviennent de la terrasse, il y est question de sécurité routière, de radars, d'enfants tués. Je dois me faire à l’idée que Rousseau a passé une semaine ici, chez Gagnebin, qu’ils sont allés herboriser dans les tourbières de la Chaux-d’Abel ; j’y parviens sans être en mesure de les suivre.
Je suis parti du Riau la veille, arrivé à La Ferrière à 21 heures, après une longue halte à Chapelle chez Ginette, avec Valérie et Charles. Seul puisqu’Arthur a décidé de renoncer aux compétitions. Et si je me rends à Tramelan, c'est parce que j’ai accepté de rédiger, une année encore, les compte-rendus des courses du trial pour les journaux locaux. Il a sonné 8 heures 30 au clocher de l'église.
Je serais bien resté encore à l’écoute des heures creuses, de ce qui reste de la nuit, de ce qui se prolonge, si l'on y regarde bien, jusqu'au soir. J’en aurais profité pour raconter cet homme ivre qui m'a confié la veille qu’une femme lui avait jeté un sort, qu’aux sorts il n'y croyait pas, mais que, au vu de ce qu’il avait dû supporter tout au long de la journée, il y croyait dur comme fer, qu’il n’avait pas pu faire autrement que de s’adresser à l’une de ces bonnes sorcières qui vivent avec le don, capables non seulement de contrer les mauvais sorts, mais encore de les renvoyer à leurs expéditeurs. Et, de prétérition en prétérition, j’aurais passé ce dimanche sur ce balcon, sans avoir à recommencer ailleurs.
Il me faut pourtant lever le camp, le patron arpente son potager, arrache quelques mauvaises herbes ; deux gamins font grincer la balançoire, ce ne sont pas les mêmes, ils parlent allemand ; la barrière de la voie de chemin de fer se baisse, je regarde revenir le train de la Chaux-de-Fonds, il est 9 heure 13.
On a l'impression parfois que chacun, chacune, chaque chose se relaient, assurant ainsi la poursuite de l’entretien infini du monde avec lui-même.

Jean Prod’hom