Champ Jaquet

Ferlens / 11 heures

Sandra, Lili et Louise puis Arthur quittent la maison; je reprends les notes prises depuis trois mois; quelques-unes sont incompréhensibles d’autres illisibles, certaines naïves, plusieurs idiotes… Me lance dans une réduction à feu doux, comme pour le vin cuit; ne devraient résister d’ici un ou deux jours que quelques noms de choses, quelques noms de lieux, quelques noms de personnes: un paysage désencombré.
(Les protestants, dans leur lutte toujours actuelle contre le culte des saints, ont la fâcheuse tendance à déplacer la Fête des morts au 1er novembre, jour de la Toussaint.)

Le serrurier m’attend à Oron, je passe à la COOP, pose ensuite la poignée à la véranda et réchauffe le repas de midi pour Louise. Il y a des moments où j’ai l’impression que les choses pourraient aller mieux mais qu’il ne faut pas compter sur moi. Je lis couché, pour me remettre d’aplomb, quelques-unes des réponses de Sebald (L’Archéologie de la mémoire) à des écrivains et des journalistes, mais aussi quelques-unes des questions de ceux-ci, celle-ci par exemple, de Michael Silverblatt:

Je remarque que dans votre oeuvre et en particulier dans les Anneaux de Saturne vous reprenez la tradition du marcheur. Je pense plus précisément aux Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau mais également au fait que, pour un prosateur, dire ce qu’il voyait au cours de ses pérégrinations fut autrefois extraordinairement banal. A ce propos le naturaliste Louis Agassiz racontait qu’il arrivait que Thoreau lui apporte des choses à son laboratoire de Harvard et que ces choses que Thoreau ramassait au hasard étaient rien moins qu’insolites. Pour lui, il était important pour un écrivain qu’il sache regarder. Et pour moi, à l’oreille, les rythmes de ce roman sont très proches de l’écriture des entomologistes et des naturalistes.

Belle soirée au Bellevaux avec Michel Layaz, Louis Soutter et Pierre Fankhauser. Entendu notamment ceci: « On n’a pas beaucoup d’informations sur Louis Soutter, beaucoup de blancs; des blancs que le romancier aurait à combler. » Par ce qui est le plus probable probablement. Leur entretien a fait écho aux questions d’éthique documentaire que je me pose depuis quelque temps, à la suite des récits de Sebald. Mes rapports au roman ne vont pas vers le mieux.

Combles

Riau Graubon / 21 heures

La maison dort jusqu’à huit heures, je fais un feu dans le poêle pour répondre à la bise et au froid qui pend aux chenaux; déjeuner en famille puis lecture avec Lili des Animaux malades de la peste, on continuera à son retour de chez Marinette.
Je reprends la carte de mes aventures, ménage des accès aux différents quartiers, aux différentes pièces, simplifie leurs relations de telle façon qu’on puisse les traverser sans difficulté, moi le premier, y faire halte, y revenir. Pièces aux murs percés d’innombrables fenêtres que traverse une lumière issue d’une même source, comme le jour. Labyrinthe et château de sable, solide château de sable à ciel ouvert.

L’Evangile selon saint Matthieu (Pier Paolo Pasolini, 1964)

Il semblerait que 57 % de la population suisse soit favorable aujourd’hui à l’initiative visant «la suppression des redevances radio et télévision. J’en conclus, d’abord, que beaucoup de gens ont des fins de mois difficiles».
Mais les initiants ont fort heureusement imaginé les conséquences désastreuses de leur initiative, puisqu’ils ont rédigé un alinéa 4 qui précise que la Confédération «peut payer la diffusion de communiqués officiels urgents».

Moille-Cherry

Corcelles-le-Jorat / 12 heures

Difficile de ne pas mettre en relation, à nos latitudes, l’histoire du livre avec celle du poêle; on attend en effet du premier qu’il procure à notre âme frigorifiée une chaleur comparable à celle que le second offre à notre corps. N’en restent que des cendres.
J’allume un feu, le jour est blanc; Sandra est descendue au marché, Louise dans le train pour Valleyres, Arthur bat la campagne.

A 10 heures, j’embarque l’amie de Lili à Mézières, qui lui raconte son stage de vétérinaire. Elles partagent leurs expériences: soins dentaires – détartrage et extraction -, percements d’abcès, fausses couches, mais aussi et surtout stérilisations et castrations de nos amies les bêtes. Que du bonheur, semble-t-il; cette semaine n’a pas entamé leur rêve.

Longue promenade avec Oscar dans la bise; je crois avoir trouvé un point d’appui pour mon entreprise, assez éloigné pour l’embrasser dans son ensemble et pour donner aux voix qui l’habitent la possibilité de s’intercaler, et donc d’intervenir, de se concerter, de se relayer, d’interférer, de se contredire, de se relancer. Ombre, lumière et point aveugle.
Dire la vérité suppose parfois qu’on s’en éloigne, non pas qu’on le veuille, c’est en effet elle qui l’exige en nous repoussant plus loin chaque fois qu’on croit y toucher. Jusqu’à nous renvoyer à l’endroit même où l’on est, dans ce que nous sommes, c’est-à-dire là où elle nous a mené dans ce que nous sommes devenus.