Bois Vuacoz

Riau Graubon / 11 heures

Il a neigé cette nuit et il neige encore ce matin, je fais du feu dans le poêle; Sandra conduit Lili à Montheron pour son dernier jour de stage, Louise et Arthur vont à l’école. Je regarde entre huit et dix Sailor et Lula (David Lynch, 1990), puis sors avec Oscar qui se régale. La neige, qui a cessé de tomber, s’est mise en grappe autour des pattes d’Oscar et rythme ses courses; il n’en abuse pas, Oscar n’est pas un cabotin.
Je craignais l’hiver et ses gris, ses noirs, ses blancs, et voici que j’y suis. Mais le bleu du ciel apparaît soudain derrière les branches des arbres, les nuages, et se répand comme sur du papier buvard: c’est la naissance des couleurs et le souvenir des premières cartes postales. Le soleil vient terminer bientôt le travail et tout est transfiguré.

Sous la hotte de la forge, le désordre ne laisse plus de place aux noces du fer et du feu: plus non plus de chevaux à ferrer; l’héritier du maréchal d’Oron a fait toute sa carrière dans la petite serrurerie, aujourd’hui il remet en état les tondeuses des alentours. Il trouve cependant, dans un coin de son atelier, un axe de poignée, pour remplacer celui de la porte de notre véranda qui a lâché. Je ne connais pas la longueur, il m’en remet deux pour des essais, de gré à gré; on se revoit lundi matin. Je fais quelques courses, écoute la radio en rentrant, il est question de Pontormo et de La Ricotta de Pasolini. Je fais à manger tandis que Louise bobe à la Mussilly; Lili est à Forel. Arthur s’entraîne à Yverdon, il participera avec son groupe de parkour à une Mère Courage qui sera présentée au printemps prochain à Mézières; je connais la cantinière.

Île Saint-Pierre

Douanne / 12 heures

Olympia, Simme, Evi, Ornella, Dora, Emmi, Miriam, Heidi et Schwable ont occupé l’étable de Meienried à la fin des années nonante, leurs noms sont écrits à la craie sur des ardoises fixées au-dessus des mangeoires. Les dernières à coup sûr, c’est en effet dans ces années-là que Barbara et Fredi ont réorienté et diversifié leurs activités.
Barbara a disposé ce matin une cinquantaine de couverts sur les cinq tables qu’elle a dressées: des sets de table et des serviettes rouges, des bouteilles de vin rouge, des bougies rouges. A l’intention d’enseignants de Büren qui viennent ce soir fêter Noël autour d’une fondue.

Le chemin des Paiens, bordé par deux hautes haies d’épines noires, de lianes et de roseaux, devient vite interminable, je poursuis sur les prairies fauchées cet été. Personne sur l’île sinon une joggeuse, un ouvrier qui boutique autour d’un des chalets de vacances construits dans les années 60, Rousseau et le fermier de l’île qui nourrit ses vaches noires. Quelques volets sont fermés mais le cloître est ouvert, pierres jaunes de Hauterive et molasse grise, feuilles d’or d’un érable; l’hôtellerie ouvrira ses portes en mars. Des oies cancanent dans le pré, je m’approche, elles s’envolent, j’ai le temps de les compter: dix-sept.

Halte dans deux boulangeries du Vully, Erlach et Salavaux, j’en sors avec des chocolats, des tuiles et un gâteau du Vully. Verveine à l’hôtel de la Couronne à Avenches, il neige, retour dans le Jorat.

Schweizer Zucker AG

Aarberg / 16 heures

L’humidité et le froid finissent toujours par entrer sous la peau et à engourdir la volonté, si bien que j’en ai tout juste assez ce matin pour quitter ma roulotte et aller déjeuner dans l’étable; je n’y fais pas long feu, pas de soufflerie ce matin; j’emporte une verveine chaude et me glisse sous la couette, jette sans conviction un coup d’œil au Peuple migrateur de Jacques Perrin, tout en m’informant de l’évolution démographique d’un quartier de Studen traversé hier. Ma curiosité est plus forte que ma volonté et j’y retourne, dans la zone industrielle d’abord, dans la zone d’habitations ensuite. Le zoo est fermé.

Je mange l’assiette du jour au Florida, un complexe hôtelier des années 1970, qui n’a cessé de s’étendre et qui accueille aujourd’hui, entre Bienne et Berne, des commerciaux et des congressistes, mais aussi des personnes âgées et des familles. Les bâtiments ont pris un coup de vieux, et les vingt flamants roses, pâles, enfermés derrière un treillis et sous un filet aux mailles lâches, donnent à l’ensemble un air d’abandon. Un rayon de soleil suffit pourtant à renverser l’ordre des choses, la gouille devient un lac et les canards se mettent à couiner: un employé distribue les restes des repas, c’est l’abondance.

La campagne, comme les sucriers l’appellent, a commencé le 23 septembre; quelqu’un a eu l’honneur de bouter le feu au four à chaux, plein jusqu’à la gueule de calcaire et de coke, ils seront chauffés à 1200 degrés. Le lait de chaux obtenu, versé sur les cossettes de betteraves, soigneusement lavées, préchauffées à 70 degrés, permettra d’éliminer les différents composants dont on veut s’affranchir. Les chiffres sont vertigineux, Aarberg produit 100 tonnes de sucre cristallisé par jour, c’est-à-dire 1000 tonnes par saison, Plus de 20 000 wagons ou camions viendront décharger leurs marchandises avant Noël, la campagne assurée jour et nuit par trois équipes de 26 personnes se terminera en effet le 28 décembre.