Dégel

La douceur de la veille et le soleil de l’après-midi ont transformé le ruisseau porté disparu depuis quelques jours en un filet d’encre noire que la neige n’a pas réussi à effacer. Hier il a dessiné la première lézarde, l’a élargie ce matin. Il retrouve son lit d’avant les nuits blanches et coule désormais la tête hors de l’eau.
Il grignote sur les deux berges la part de neige qui le fait grossir. C’est sûr il écrira ce soir dans son lit sombre quelques belles promesses. Pourtant le ruisseau ne chante pas, c’est pour plus tard, il médite plutôt, tout à son offensive souterraine, il ne prend aucun risque, le bois il connaît, il emprunte le trajet qui a toujours été le sien, il contourne sans ruse les fûts sombres avant de disparaître dans le creux en-dessous des nouvelles plantations.
L’abondance du duvet tout autour ne résiste pas, le manteau pied de poule fait voir sa doublure mitée, détrempée, les brindilles et les feuilles mortes en creusant d’innombrables cupules donnent un coup de main aux grands travaux du renouveau. Tout est noir tout est blanc au bois Vuacoz.
Dans quelques semaines le sol s’amollira, on se couchera dans la mousse et les traits d’encre s’éclairciront, rubans d’argent liquide sur lesquels flotteront les morceaux du ciel suspendu, avec dedans les nuages qui passent.

Jean Prod’hom

Plus tard

Personne ne le savait dans les îles
mais cette année-là deux univers
côte à côte séparés par un bras de mer
se découvrent par-dessus les années

l’élan semble irrésistible
mais ils n’ont pas dépassé
les îles la côte effleurée
pas au-delà
la même ignorance
se dresse aménage
méthodiquement son règne
un à un les derniers
lointains s’inclinent

Jean Prod’hom

Dimanche 17 janvier 2010

Qui fait passer un peu d’éternité d’une respiration à l’autre assure sa survie. Plus pourquoi pas, mais en usant de ce dont on dispose presque rien. Peut-on sérieusement aller au-delà d’un bout de journée sans étouffer ?
On m’a raconté les limites, j’ai lu quelques épopées qui ont donné du tempo à ce qui en manquait. Mais je me souviens surtout des comptines, des chansons qui reviennent, des jours et des nuits, du soleil à l’est, des promesse qu’on tient et du couchant. Vendeurs de camelote, courtisans passez votre chemin, allez respirer. Tu n’es pour quiconque d’aucun secours. Et si tu ne veux pas de mon indigence, va, je n’ai rien d’autre à t’offrir que d’être à tes côtés lorsqu’à l’aube ce quelque chose qui ne manque pas d’être là et qui m’effraie est là.

Jean Prod’hom