Enfantissages

Louise n’est pas rassurée, moi non plus: malgré les flonflons, les chants et les luminaires, tout concourt à la faire douter du Père Noël. Qu’il existe soit, mais sur quel mode? Elle est sur le point de trancher le noeud. Quelques promesses pourtant l’encouragent à ne pas engager trop tôt la rupture. Elle s’interroge, comment quitter le bateau la tête haute? le doute l’assaille. Elle demeure silencieuse un long moment au bout de la table, prostrée, elle semble étudier dans le désordre les possibilités qui s’offrent à elle, elle semble vouloir sauver le Réveillon encore une année. Mais les marges sont étroites et le temps presse. Elle relève enfin la tête, sa décision est prise.
– Je mettrai mes chaussettes devant la cheminée.

Pendant ce temps Arthur lit près du poêle un roman qu’Yves lui a offert pour Noël. Je lui demande.
– Ça te plaît?
– Trop bien ce livre ! C’est l’histoire d’un garçon. Un peu plus âgé que moi. Très peu de temps après sa naissance, son père et sa mère meurent dans un accident d’avion…
J’ai compris, je vous donne les coordonnées de ce roman de formation, il plaira sûrement aussi à vos enfants: Anthony Horowitz, Alex Rider, tome 1: Stormbreaker (Poche)

Jean Prod’hom

Une leçon de Robert Walser

Sans politesse, il n’y aurait plus de société, et sans société, plus de vie. Sans doute: s’il n’y avait que deux ou trois cents personnes vivant dispersées sur la terre, la politesse serait superflue. Mais nous vivons si étroitement les uns à côté des autres, pour ne pas dire les uns sur les autres, que nous ne tiendrions pas même un jour sans les formes de la prévenance et de la gentillesse.

Rober Walser, « La politesse » in Les rédactions de Fritz Kocher


Et sans pardon, il n’y aurait plus d’avenir…
Demander ou l’accorder, c’est la passe par laquelle le collectif reconnaît à chacun d’entre nous la possibilité de dire à l’autre, dans un échange sans témoin, qu’il existe d’autres voies que celles qui ont été empruntées, qu’elles ne se valent peut-être pas et qu’il aurait pu en être autrement. Sans pour autant que ceux qui se trouvent dans cet accident du temps n’aient en vue l’aveu ou le regret.
C’est comme si, au coeur de la parole échangée, l’un et l’autre de ceux qui font vivre le pardon reconnaissaient dans l’événement sur lequel ils ont buté la pierre d’angle d’un scandale qui ne peut durer. Mais le mur est immense – leur corps le dit – ils sont tous deux les lésés, avec les autres qui regardent ailleurs, de ce qui affleure depuis toujours, de la violence qui cimente les piliers du réel et les terrasses de l’histoire.
Car l’objet autour duquel besogne le pardon est à l’origine de l’immémorable qui revient. La violence guette et l’événement singulier pour lequel on le demande et on le reçoit rameute ce qui précède, et y passe tout ce qui fut.
Pas de déni pourtant, ni réparation, prescription, oubli ou réconciliation. Le pardon est une chicane – un accident topographique – qui conduit nos vies à reconnaître d’un mot l’impossible concours de circonstances qui nous a fait être là au bout du temps, et qui en appelle à une nouvelle alliance, entre nous, celle des premiers venus. C’est ainsi et par eux que l’homme garde intacte la possibilité d’un avenir. Le pardon, figure par laquelle on resserre la gerbe de ce qui fut par l’un des brins du hasard, dit deux fois oui à ce qui précède pour concevoir ce qui viendra, on n’en pouvait plus d’aller de la sorte.

Il m’arrive souvent de remonter et descendre la rue dans l’unique but de rencontrer une personne que mes parents connaissent afin de pouvoir la saluer. Ai-je une façon gracieuse d’ôter mon chapeau, à vrai dire, je n’en sais rien. Il suffit que j’éprouve à saluer tout simplement. Ce qui est particulièrement charmant, c’est d’être aimablement salué par des personnes adultes. Comme c’est merveilleux d’ôter son chapeau devant une dame et de voir ses yeux se poser affectueusement sur vous. Les dames ont des yeux si bons et leur hochement de tête est une récompense extraordinairement gentille pour un travail aussi minime que celui d’ôter son chapeau.

Rober Walser, « La politesse » in Les rédactions de Fritz Kocher


L’appel de ce qui n’est pas encore et pour lequel oeuvre le pardon est si puissant qu’il arrive parfois qu’on le demande ou qu’on l’accorde sans que rien dans le ciel ne l’annonçât. Le pardon, – petit ou grand – est, comme la politesse, de la famille des éclaircies, c’est l’une des leçons posthumes de Robert Walser.

Jean Prod’hom

Dimanche 20 décembre 2009



S’en approcher d’abord, s’en étonner un peu, à peine. Mais quoi qu’il en soit aller au-delà des calculs, par-delà ce qu’on avait cru bon laisser en réserve pour si jamais. Dépasser le seuil comme si de rien n’était et continuer dans l’incertain, jusqu’au lieu où la question de savoir d’où l’on vient et où l’on va s’effiloche comme un songe mité. Tout ceci n’a plus sa raison d’être, réjouis-toi, tu y es presque.
De ce lieu sans main courante aller encore un peu le sac à dos des hésitations oublié dans la caillasse, laissées au col les oeillères qui emprisonnent les tempes, et se retrouver avec presque rien tout autour, là où coulent les eaux des hautes vallées, là où le pas lisse le chemin de halage.
Car plus rien n’est comme on le croit, c’est le coeur qui cartographie le coeur lorsque tout redevient comme aux premiers jours, lorsqu’on s’avance désencombré, sans regret pour ce dont on s’allège, en disant les mots simples qu’entendra à coup sûr celui qui viendra par après sur les rives de Constance ou au fond de Réchy.
On se retrouvera dans une dépression du jour et la neige se souviendra. On ira encore, allégé, on ne sera pas seul puisqu’on n’y est personne.

Jean Prod’hom