XLVI

– Pourquoi le coq chante-t-il à n’importe quelle heure du jour, lorsque l’homme dort encore, sans égards pour les rêves de celui auquel il doit sa vie de roi de la basse-cour?
– Pour rappeler à l’homme et vomir à sa face ce que celui-ci a fait avaler de force à son amie l’oie.

Jean Prod’hom

Noyer la source

Pour écarter les obstacles qui se dressent sans cesse au devant de nos désirs de bien faire, ou écourter la durée des détours que leur franchissement nécessiterait, on se glisse au plus vite au plus court dans le sillage qu’ont laissé d’anciennes solutions – résolution conviendrait mieux ici – dont l’efficacité tient en leur acceptation collective. On décline ensuite l’invitation que nous adresse leur réapparition régulière, insistante, à faire demi-tour sur le champ et remonter héroïquement, le temps qu’il faudra et avec les peines qui accompagnent immanquablement une telle entreprise, jusqu’à leur source. Avant que celle-ci ne disparaisse sous l’incessant babil de ceux qui tiennent les cols et les détroits: désormais se taire et tarir l’eau des moulins.

Et d’ici là, sans qu’on n’y parvienne jamais, aller sur les traces de ce qui précède l’émiettement, du côté de cette force invisible qui maintient sans qu’on l’ait fait suffisamment remarquer le delta et la source, en nous gardant comme de la peste des anciennes résolutions qui mènent au pied d’un barrage où l’eau s’amoncelle jusqu’à noyer la source.
Pour que nous ne soyons pas un jour riches d’innombrables solutions à des questions qui ne sont plus à notre disposition.

Jean Prod’hom

A bonne distance

Ainsi les hommes filent : et si les hommes étaient faits d’étoffe indémaillable, nous ne raconterions pas d’histoire, n’est-ce pas ?

Pierre Michon
Les Onze

A nous éloigner du pré carré auquel on est attaché, à considérer de là-bas ce qui nous fait demeurer celui qu’on suppose être, là où on croit être, on est de suite frappé par la simplicité des alentours, sa cohésion, le silence du pays dans lequel on n’est plus. Il s’éloigne continûment, comme ces taches de lumière projetées sur l’écran noir de nos paupières et qui s’échappent plus vite encore lorsqu’on veut les retenir.

Aurait-il été préférable de continuer à vivre dans le monde que l’enfant s’était fait? La vérité, c’est que ce qui l’a poussé à devenir plus que jamais le maître du monde l’en a éloigné, il a suffi qu’un jour il s’éloigne du pré carré… on ne se fera pas, on ne se refera pas.
On n’a guère le choix, se démailler pour rendre au monde ce qu’on avait cru lui dérober, et se tenir à bonne distance du grand pré dont on se croyait l’unique possesseur, garder à bonne distance la tombe qui rendra à la terre son silence et sa vérité lorsqu’on s’en ira pour de bon. D’ici là filer l’histoire de cet éloignement qui nous défait, car c’est lorsque on ne tient plus à rien que nos existences ne tiennent plus qu’à un fil. Et le monde s’en va alors de ce pas.

Jean Prod’hom