Le jour pour quelques heures encore (monologue)

Ecoutez! L’accès à la lumière est une chose très importante. Tout ceci a d’ailleurs été fixé de manière très claire dans des dispositions légales et la troisième ordonnance règle cette question. L’idée centrale c’est que chacun durant sa journée ait un accès de manière suffisante à la lumière du jour. Ce principe on y tient, et on y arrivera si tout le monde met de la bonne volonté.
Cette ordonnance prévoit les situations où il n’y a pas d’accès direct à la lumière. Mais on ne répétera jamais assez que les postes de travail qui n’ont pas de vue sur l’extérieur et où la lumière fait défaut doivent rester l’exception. Vous dites que les postes de travail sans éclairage naturel se sont multipliés ces dernières années, mais ce n’est toutefois pas de notre faute si on fait des surfaces en sous-sol. Ce sont les architectes.
Voici le principal: « On doit pouvoir se rendre au moins jusqu’à une fenêtre de manière périodique .» Ça c’est l’aide-mémoire qui le dit. Et puis les ouvriers peuvent toujours demander à leur patron: « Puis-je aller faire un tour à la fenêtre? »
Ces pauses compensatoires de vingt minutes, c’était difficile dans beaucoup de situations. C’est une réalité. Ne peignez pas le diable sur la muraille, on trouvera d’autres solutions. Pour l’instant, je le répète, l’aide-mémoire règle la question. Il rappelle aux personnes concernées « l’importance de la lumière du jour » et valorise « la recherche consciente, périodique et autorisée par l’entreprise de la lumière du jour et de la vue sur l’extérieur ».
On saisira mieux la vérité de cette formule. Plus tard. Pour l’instant faisons au mieux. Bien sûr, vingt minutes de pause on comprenait mieux. Mais l’idée à la fin, je le répète, c’est que chacun durant sa journée de travail ait accès de manière suffisante à la lumière. Ce principe reste valable, n’est-ce pas? on est bien d’accord sur ce point. Et puis il faut rester flexible, chaque situation doit faire l’objet d’une appréciation. Soyons déjà heureux avec ce qu’on a.
Le jour, le jour, le jour… Pourquoi tout serait-il toujours donné tout de suite à tout le monde?

Jean Prod’hom


Repiquage, RSR1, Forum, vendredi 23 octobre 2009

Croix de fer si je mens je vais en enfer

Que de temps, que de forces avant d’en comprendre assez, faire bonne figure et obtenir une place, une situation, là où on cherchait tout autre chose. On se décide pourtant à monter dans le train, fermement résolu à en descendre un jour: plus tard. Promis! on reprendra l’affaire là où on l’a laissée.
On se retrouve alors vicaire parmi les vicaires, satisfait de l’un des strapontins proposés par Rome. Les années passent, fatigantes fins de journée. Visage dans les mains on essaie de comprendre ce dans quoi on est embarqué. C’est donc ça, on aboie parfois. Et puis la raison raisonnante convainc les derniers récalcitrants, non pas de renoncer définitivement à la partie que l’enfant avait initiée autrefois, mais de différer encore les retrouvailles avec cet impossible bonheur, arrimé à la traîne d’un présent auquel au fond on ne croit pas. Noire et mortelle tentation, on a fait son trou.
Pour ne pas avoir à pleurer le strapontin repris, pour ne pas avoir à éviter les chausse-trapes d’une organisation sociale aux larges mailles qui y précipite ses perditos, se dessaisir de l’esprit de sérieux qui conditionne le respect des appareils et des carrières, écouter celui qu’on raille, celui qui ne comprend pas et celui qu’on ne comprend pas, demeurer en retrait du grand jeu, ne pas laisser filer le temps.
Ne pas différer d’un jour ce qui doit être désentrepris pour retrouver la grande affaire là où on l’avait laissée il y a longtemps.

Jean Prod’hom

XLII

Assis sur le banc de la Mussily d’où j’observe depuis une dizaine de minutes la patience d’un chat blanc qui braconne à la lisière du bois, j’entends le bruit lointain d’un moteur. Le chat a levé la tête tandis qu’un homme sort d’un 4×4, c’est Jean-Rémy qui rentre du travail, il ne m’a pas vu. Il appelle l’animal qui a repris son affût, une fois, deux fois, d’une voix mielleuse et aigre, presque bêlante, ce chat lui appartient.
– Minet, minet!
Rien n’y fait, l’animal a les yeux fixés sur une taupinière. Jean-Rémy lève alors le bras et fait le geste sans équivoque du dresseur de fauves à qui on ne la fait pas. Ça ne suffit pas, Jean-Rémy hurle, une fois, deux fois, sans succès, Jean-Rémy crache de dépit.
Sans comprendre, je me lève et m’éclipse discrètement. Le chat non plus ne comprend pas, mais lui il reste.

Jean Prod’hom