Nouveau delta de la Broye

Salavaux / 11 heures

La bise est allée voir ailleurs, le drapeau rouge à croix blanche du voisin de la nation a baissé les bras, soudain chiffon malade, triste, défait. Balade avec Oscar du côté des bouvreuils, bruits de verre pilé à chacun de nos pas, qui couvrent ceux des invisibles occupants à demeure dans les bois; il suffit pourtant de faire halte pour entendre leur va-et-vient et les deviner, si proches et si lointains. François m’embarque à 9 heures, on parque près de la gare d’Avenches, à côté de chars et de wagons qui débordent de betteraves.

Une odeur de chicorée, ça vient de l’usine Nespresso; les terres sont d’encre, on longe les méandres de l’Eau noire jusqu’à Salavaux – aigrettes, canards, mouettes, poules noires, nettes rousses – avant de traverser le futur delta revitalisé de la Broye, aux eaux de laquelle la Petite Glâne a cédé discrètement ses droits, sans abandonner pourtant le mystère de ses sources. Il est midi pile lorsqu’on entre dans le restaurant du Lac à Vallamand-dessous, un peu plus de 13 heures lorsqu’on en sort pour monter jusqu’à Vallamand-dessus. On glisse alors entre des murs de betteraves cultivées sur le plateau qui s’étend du sommet du bois de l’Allou jusqu’aux pentes du Mont Vully et ses parchets de vigne qui roulent jusqu’au lac. La grande rue de Môtier fait voir ce que ses habitants doivent au vin, double succession de belles et grandes maisons vigneronnes, aux portes et fenêtres encadrées des nobles pierres d’Hauterive. Dans l’une d’elles, nous rappelle une inscription, en 1807, est né Louis Agassiz.

On continue jusqu’à Sugiez en longeant le bout du lac et le canal de la Broye, croque une mandarine et un biscuit sur le banc de la gare, la nuit tombe. Il faut changer de train à Morat, François me dépose au Riau. Arthur et Lili ont déjà mangé. Je vais chercher Louise qui remonte à pied, seule, dans la nuit et le brouillard, dense, inquiétant. Lorsque je lui demande si aller ainsi, à l’aveugle, lui fait peur, elle me répond qu’elle n’appréhendait qu’une seule chose: croiser une harde de sangliers. Il y en a effectivement beaucoup trop dans le coin.

Chemin du triage

Corcelles-le-Jorat / 12 heures

La bise agite le drapeau rouge à croix blanche du voisin, jour gris, jour blanc, jour glacé. Je fais du feu dans le poêle. Oscar se cale dans un fauteuil, j’embarque sur le mien et traverse en compagnie de Chopin la volumineuse Anthropologie de la mort de Thomas; note une ou deux choses et les titres de trois ou quatre films qu’il mentionne et que j’ai vus autrefois. Tout cela avec un peu de précipitation, pour me rassurer je pense; je souhaite en effet terminer cet essartage avant janvier.
Le brouillard et le givre recouvrent à nouveau les feuillus de la lisière du bois Vuacoz, dissimule les tendres colorations des restes de leur frondaison, leur rendant de cette substance qui leur manque désormais, que le vent a emportée; ils ont retrouvé fierté, lumière et ombres. Je glisse au retour deux pizzas dans le four et pousse Oscar dehors, sur la grande boucle, nos oreilles frisent. J’aperçois au retour les filles au bout du chemin, vais récupérer Arthur à l’arrêt du Riau.

Traverse en début d’après-midi le dernier chapitre du second volume d’Ariès, avant de nous rendre, Lili et moi, chez le vétérinaire qui l’accueillera pour un stage dans deux semaines. Le ciel est bleu sur Montheron et la bise a faibli. Je cherche en vain sur le net Cris et chuchotements et Les Fraises sauvages. Je me rabats sur La Gueule ouverte de Maurice Pialat que je visionnerai ce soir.

Me voilà une nouvelle fois à la cuisine, avec des casseroles, un peu de salade verte, les restes de la soupe de la veille, des pâtes et une tarte aux poires préparée ce matin. On mange comme s’il nous manquait quelque chose, Sandra rentrera plus tard.

Brenleire et Folliéran

Riau Graubon / 16 heures

On déjeune, les enfants partent à l’école; Sandra a congé, elle travaille au salon, moi à la bibliothèque. Grande boucle en sa compagnie et celle d’Oscar à 9 heures, avec des gants et un bonnet, la bise et le brouillard. Froid vif aiguise le pas, écrit Sylvie, on parle de choses et d’autres en évitant les pièges, les fondrières, les gouilles, la neige et la boue. Le soleil n’est pas loin.

Je traverse au retour La Mort dans l’instant mortel, seconde partie de l’ouvrage que Jankelevitch a consacré à la mort, un long texte qui fait du bien en donnant corps à ce qui n’en a pas, mais qui a le défaut de s’apparenter à la transcription d’un cours, fait de grandes avenues et d’improvisations, de trouvailles et de redites.
Visionne ensuite un film de Michael Hoffmann, Tolstoï, le dernier automne, qui raconte les dernières années de l’écrivain, commande La Fuite de Tolstoï de Alberto Cavallari et Tolstoi est mort de Vladimir Poznez.

Lili nous rejoint à un peu plus de midi, je réchauffe le solde du riz, fais une salade, coupe des pommes, des poires et du fromage. Chacun retourne à sa cellule, je plonge la mienne une seconde fois dans l’obscurité: David Lean, Brève Rencontre, 1946.
Le ciel s’est dégagé lorsque j’ouvre les rideaux, ciel bleu, mal aux yeux, reflets de métaux précieux à la lisière du bois Vuacoz, mais la neige ne les poudre plus, les labours réapparaissent. Balade avec Oscar avant de préparer le repas, il y a le feu aux mélèzes, et puis soudain la nuit.