L'Élysée



L
Les nécessités conjuguées au hasard m’ont permis de retrouver, plus de quarante ans après, la prospérité économique qu’a connue Lausanne – et sa région – immédiatement après-guerre. J’ai eu en effet l’occasion de visiter hier le collège de l’Elysée dont s’enorgueillit aujourd’hui encore la population lausannoise. L’édifice est l’oeuvre de Frédéric Brugger, architecte premier des Trente Glorieuses, responsable du Secteur industrie et artisanat de L’Exposition nationale de 1964, concepteur encore des quatre tours de la Borde et de la barre haute du chemin de Lucinge (12-16).

Les corps rectangulaires de béton se dressent dans un parc qui n’a guère changé depuis et s’étagent en terrasses comme des bunkers sans rondeur. Ils m’ont fait penser aux derniers fondants de qualité qu’auraient laissés par politesse dans une boîte bientôt vide des invités au charme très discret.
Si l’on considère de l’extérieur ce chaos organisé, il ne semble pas receler autre chose que du plein, il n’en va pas de même lorsqu’on se trouve à l’intérieur puisqu’alors tout semble vide. Qu’y faisait-on? Qu’y fait-on?

J’y ai passé six ans de ma vie d’élève et je n’y aperçois aujourd’hui que les choses qui raient le temps, décaties, jaunies, poussiéreuses, peu raisonnables, pingres, prétentieuses, démodées, de mauvais goût, grises, étroites, et puis au détour des armoires de bois à un seul battant, de sobres poignées chromées, des portes bientôt transparentes, un aquarium aux herbes folles, les vitrines surchargées de la salle de sciences, des perspectives aux dimensions régaliennes, un linoléum bleu acier dans des couloirs sans fin, des montées d’escaliers destinées aux princes de la middle classe à laquelle nous appartenions, les empreintes des coffrages, les traces de décorations murales, les chaises de l’aula d’un autre temps, des mains courantes qui auraient pu servir à la charpente de cathédrales.
Les glorieux locataires de l’Elysée d’autrefois croyaient-ils à l’avenir avec plus de conviction que les locataires actuels? Je ne m’en souviens pas.

La classe que j’occupais était orientée vers le nord, et tandis que nos grands frères allaient sous peu déterrer les pavés et raser les Alpes, nous ne songions pas à guigner derrière le mur gris auquel nous étions adossés. Nous aurions découvert alors, au-delà des maisons qui empêchent les corps de bâtiment de couler en contrebas, une merveille, plus fragile que le béton mais aussi onctueuse qu’un fondant, le lac Léman gardé par les hautes montagnes de Savoie.

Avant de quitter ces boîtes à sensations, la simple pression sur le chiffre effacé qui identifiait l’armoire qu’on avait mise à ma disposition à l’entrée de la 1/6 ou de la 3L2 me ramène d’un coup tout le passé, un bref instant. La boîte est vide.

Jean Prod’hom

Anniversaire



Il faut qu’aujourd’hui encore je m’y colle puisqu’il ne s’est trouvé dans le zinc du 807 aucune âme assez généreuse pour me rédiger une triplette assez ronflante le jour de mon anniversaire.

On aurait pris conscience à cette occasion de ce qui distingue les essais disgracieux de 807 nains du geste tranchant d’un géant.

Quoi qu’il en soit, avoir disposé sans bourse délier de 807 nègres, dociles et besogneux, qui auront oeuvré 807 jours durant à l’établissement définitif de votre renommée, n’est-ce pas là le signe avant-coureur du génie ? Faut-il les en remercier ? 807 fois ?

Jean Prod’hom
18 juin 2009

Cathédrale



Les lourds blocs de molasse mis à jour par les pelles lors des travaux de creuse du réservoir d’eau de la Montagne du Château, dégagés, transportés puis stockés depuis plus d’une année derrière le hangar sont pour la plupart en poussière. Qu’aurait-il fallu faire pour que la molasse devienne moins friable?
Rien, me répond N. M. de l’Université de Lausanne. Et les blocs ramenés sont bel et bien constitués de cette molasse grise qui a servi à la construction des anciens édifices lausannois, mais ce grès est très friable. Si elle est extraite à une certaine profondeur dans la masse rocheuse, c’est-à-dire entre cinq et dix mètres, cette roche est même d’assez bonne tenue pour la construction, car elle n’a pas été affectée par les ruissellements d’eau chargée de gaz carbonique qui ont tendance à la rendre friable.
Dans les environs de Lausanne, il n’y a pas actuellement de carrières d’où l’on extrait ce type de grès, sain à l’affleurement. Dans les anciennes carrières, par exemple celle de la grande place de parc au Signal de Sauvabelin, l’exploitation s’est arrêtée il y bien longtemps et la roche est devenue friable suite à son exposition aux agents atmosphériques. Mais il suffirait de décaper le rocher sur quelques mètres et on rencontrerait un matériau de construction en bonne santé.
Pourtant, conclut le spécialiste de l’UNIL, le travail de sape de l’érosion ne manquerait pas de s’attaquer aux édifices construits avec cette molasse. C’est le gros problème à Lausanne – alors qu’à Berne ou Fribourg, la molasse montre une bien meilleure tenue.
Il faudra donc que je m’y fasse, le jeu n’en vaut pas la chandelle, je n’élèverai pas de cathédrale dans le Haut-Jorat.

Jean Prod’hom