Le silence

Une élève posait au fil de sa note une question qui me met mal à l’aise. J’y reviens aujourd’hui.
– Quel serait le sujet de nos conversations, si nous savions tout? demande-t-elle.
Cette question me hante depuis longtemps, elle me hante et me dérange à la fois. Je la comprends bien parce que, plus d’une fois, je me suis trouvé mal à l’aise lorsque, au coeur d’une relation ou d’une communication, un mauvais silence s’installait. Simultanément, c’est une question que je ne peux pas entendre sans un immense malaise – un malaise semblable à celui que j’ai évoqué à l’instant – parce que cette question suppose dans ses plis que nos conversations ne sont là que pour nous divertir d’un silence que nous serions dans l’obligation de rejeter, chasser hors de notre vie.
Le silence n’est-il pas aussi ce qui nous lie, loin du jeu des questions et des réponses? Mais y est-on prêt, y est-on formé? L’école nous invite-t-elle à des exercices de silence?
Je lui conseille d’écouter quelques mots d’un poète, Jean Grosjean, dont j’ai placé un extrait dans la marge du blog 11. Il dit dans Si peu la beauté dont le bon silence est gros. Et puis je lui conseille encore d’écouter quelques mots de Jacques Dupin à propos de ses promenades avec André du Bouchet.
Les écoutera-t-elle?

Jean Prod’hom

Nous irons à pied

– Consommez, consommons!
– Consomme, consommons, consommez! pour que l’on maintienne à tout prix la pente de notre croissance, et la qualité de notre vie actuelle. Et entendez, je vous prie, la raison de ce principe et les dangers que nos sociétés avancées pourraient courir si elles n’honoraient pas ce mot d’ordre!
Pourtant, ce principe lancé à l’unisson par tout ceux qui comptent dans notre monde, me plonge dans une espèce de stupéfaction effrayée, comparable à celle que j’ai éprouvée un jour – c’était un dimanche à Bursins – en voyant un bus rempli d’enfants lancé à toute allure contre un mur; il n’y avait bel et bien aucune autre issue que le mur pour l’arrêter. J’aurais voulu ce jour-là que le bus ne fût pas parti.
Stupéfait, effrayé, je désarme donc devant ceux qui savent et leurs litanies, qui ont la consistance de ces mots obscurs qui tympanisent certains de nos rêves et qu’on se réjouit de voir s’éloigner à l’aube. Mais cette liturgie est bien réelle et ce sont mes rêves qui s’éloignent le matin.
La tête me tourne, car lorsque je me retourne, le soir, pour considérer ce qui reste de ce qui n’est plus, ce qui m’a réjoui, la paix et la confiance indispensables à l’accomplissement du saut inquiétant dans la nuit, je ne vois presque rien: une ou deux choses sans prix: une attention, un geste, une odeur, un mot,… des riens qui n’appartiennent pas aux rayons de nos consommations.
Et ma raison tremble car j’ai la conviction que nous nous ressemblons, et qu’à côté de nos besoins élémentaires, nous ne sommes comblés que par des choses sans prx, la paix et la confiance, hors de prix.
Nous irons désormais à pied.

Jean Prod’hom

Football

Je regarde parfois les matches de foot de la Ligue des Champions. Avec un double sentiment, celui certes de prendre du bon temps en me retirant, une heure et demie durant, des affaires qui occupent mon esprit – mes inquiétudes, mes projets, mes passions, mes peines,… -, mais aussi avec l’étrange impression de m’écarter de quelque chose d’essentiel, ce qui précisément me constitue. Je me retrouve alors encalminé sur les bas-côtés de la « vraie » vie, prisonnier d’une sotte conviction, celle de croire qu’il va se passer quelque chose d’extraordinaire, et qu’il me faut rester là, médusé, jusqu’à la fin.
Les rideaux se baissent, je me lève alors du fauteuil dans le ventre duquel j’ai vécu, amiotique, amnésique, j’éteins les projecteurs, traverse l’obscurité. Je me réjouis alors du silence dont les plis enveloppent ceux que j’aime, un silence qui tressaille, un silence qui tremble, inentamé, « le silence de quelqu’un qui est sur le point de parler ».

Jean Prod’hom