Dimanche 2 novembre 2008

J’ai vécu de bien mauvais moments, à l’école ou à la maison, qui m’ont conduit plus d’une fois à penser que j’étais un incapable, sans idée, sans imagination, sans inspiration. Curieuse estime de soi!
C’est à l’occasion des “compositions” qu’on me commandait de rédiger que j’éprouvais ce sentiment de vide profond. On exigeait en effet que je fasse preuve d’originalité et j’en étais dépourvu. J’avais beau chercher, je ne trouvais pas le filon d’où auraient jailli les mots, les phrases, les idées qui auraient fait de moi un être original; je ne savais pas dans quelle direction chercher, je ne savais pas même à quoi pouvait ressembler quelque chose de vraiment original: les textes devant lesquels les adultes s’extasiaient ressemblaient, à mes yeux, comme deux gouttes d’eau à ceux qu’ils déconsidéraient. Je me sentais forclos. Je n’ai jamais osé leur demander de m’aider – ne pas être original est inavouable -, de me montrer, de m’expliquer. Rien n’y a fait!
J’en ai conclu alors que l’originalité n’était pas pour moi, qu’il me fallait laisser à d’autres ce sésame que la nature ne m’avait pas octroyé.
Je crois qu’en réalité je souffrais d’une obsession, une obsession partagée par d’autres, inavouable donc, que mon époque et l’école de mon époque m’ont instillée. À leur insu, car cette obsession de l’originalité vient de loin, elle a une histoire qui est peut-être aussi longue que celle des Temps modernes.
Il m’a fallu des années, loin de l’école et des médecins, pour commencer à guérir. Il m’a fallu du travail, des peines, des livres, des rencontres,…
J’ai compris alors, pas à pas, que la volonté, si nécessaire en de nombreuses occasions, ne peut pas tout. Il ne suffit pas de vouloir écrire ce qui n’a jamais été dit jusque-là pour être en mesure de l’écrire. Pire! c’est peut-être la meilleure façon de le rater. (À ce propos je me rappelle de la lecture d’un ouvrage de Paul Feyerabend (Contre la méthode) dans lequel le chimiste Kékulé raconte comment il a découvert une façon originale de représenter le benzène; c’était à l’occasion d’une rêverie au coin du feu au cours de laquelle il a distingué – dormait-il, rêvait-il? – l’image serpentine des volutes se refermant sur elles-mêmes. C’était l’idée qu’il cherchait depuis tant et tant d’années!)
Il convient peut-être de rester modeste en la circonstance et de se contenter, plume à la main, de ce qui est là jour après jour, là, sous nos yeux, le ciel d’opale, le chant du coq ou ce rayon de bibliothèque sur lequel des livres aux habits d’Arlequin, blottis les uns contre les autres, se tiennent compagnie jour et nuit pour dessiner l’arc-en-ciel de la mémoire des hommes, avec la conviction que l’inouï est à notre porte.

Jean Prod’hom

Se taire

Je suis aux prises, si souvent et chaque jour, à mille choses futiles… Pour me divertir peut-être des choses qui le sont moins et qui exigent disponibilité, idées claires, solitude…
Il faut peut-être un immense courage pour nous taire.
Les groupes – et ses pressions – sont si puissants que les petits pas que nous faisons pour y voir un peu plus clair chaque jour, seul, dans le doute parfois, soutenu par la sollicitude de nos amis, accompagné par nos proches, nous semblent dérisoires.
Il nous faut un immense courage pour nous taire.

Jean Prod’hom

Zep

– Mais au fond, devrait-il encore continuer?
Comment interpréter cette question?
Faut-il, avec les sages, se faire à l’idée que toute chose – bonne ou mauvaise – a une fin?
Ou faut-il entendre que les choses ne sont pas aussi extraordinaires qu’on le prétend? Qu’elles sont même franchement mauvaises?
Je dois avouer que je ne connais pas les aventures de cet homme, je n’en ai lu que quelques pages, une ou deux un jour peut-être, des aventures dont il ne me reste qu’une image, tenace, celle d’un petit homme au visage vieilli, la langue pendante et qui ne sait pas toujours ce qui se dit dans ce qu’il dit.
Mais je me trompe peut-être… et je me promets que, lorsque « Le sens de la vie » passera dans la mienne, je n’hésiterai pas à lire avec soin ce récit. Je pourrai alors en parler et on m’apprendra à cette occasion, si on ne l’a pas fait encore, ce qu’on voulait me faire entendre par cette énigmatique question.

Jean Prod’hom