Santa Maria Vergine

Palerme / 15 heures 

Les murs de la cour, qu’on aperçoit de l’extérieur, sont décorés de bris de carreaux colorés; la maison est au bord de la mer, une espèce de bungalow à mi-chemin d’un mobil home et d’un cabanon de pêcheurs qui se serait étendu de génération en génération. Le propriétaire m’invite à faire des photos de l’intérieur: c’est l’œuvre de l’un de ses dix frères, mort aujourd’hui. Ils sont tous nés là, à Santa Maria Vergine, se sont expatriés pour gagner leur vie avant de revenir finir leurs jours dans l’une ou l’autre des nombreuses dépendances de ce labyrinthe familial.
Entre son départ et son retour de l’étranger, les autorités palermitaines ont défiguré le paysage, l’homme n’a pas de mots assez durs pour maudire ceux qui étaient alors aux affaires, qui se sont débarrassés ici, chez lui, des restes de la guerre et des matériaux de creuse qui ont permis aux promoteurs d’élever des palais et des HLM.
C’était le plus bel endroit du monde, l’ancien marin à la retraite en donne pour preuves les ans qu’il a passés sur les océans et qui n’ont pas démenti ses certitudes: rien vu de pareil, nulle part.
Je confirme les dégâts, la guerre n’a pas cessé au pied du Monte Pellegrino, entre Mondello et Santa Maria Vergine, du béton à perte de vue, des fers rouillés, des portails renversés, des fils de fer barbelés, des treillis, des chiens, des affaissements de terrain, des maisons vides.
Rien n’empêche cependant les orangers de pousser et les citrons de mûrir. Quant à la mer, elle fait comme si rien ne s’était passé.

San Giovanni degli Eremiti

Palerme / 13 heures

Les aventures de Pierre et de Paul sur les murs de la Chapelle palatine, refaite à neuf après le tremblement de terre de 2002, attirent du monde. On n’aurait pas manqué, à l’époque de Roger II de Sicile ou de Frédéric de Hohenstaufen, de réactualiser le programme iconographique en mentionnant au moins le rôle du mécène allemand qui a mis la thune pour restaurer cet ensemble et en plaçant discrètement, ici ou là, les vis et les boulons qui ont fait sa fortune.
Ne nous plaignons pas! C’est ce même culte de l’œuvre définitive, ou d’origine, qui a permis au cloître de San Giovanni degli Eremiti de vivre à l’écart des soubresauts de l’histoire, dans l’ombre d’un jardin luxuriant, et de m’inviter à me caler entre deux colonnes et à lézarder aux côtés de deux néfliers.

Cathédrale de Cefalù

Cefalù / 15 heures

Il y a, à Bagheria, d’innombrables réservoirs d’eau de pluie et quelques-uns des reliquats de l’aventure industrielle, des résidences et des maisons en ruine, des rues vides, du linge qui sèche aux balcons, quelques ceps de vigne, une décharge à ciel ouvert. Et au-delà la mer.
Il y a, à Altavilla, quantité d’immeubles à vendre, des serres en lambeaux, des landes, des terrasses, des glycines, des sens interdits, des drapeaux tibétains. Et plus loin la mer.
A Trabia il y a des grues, des HLM, Esso, des môles, des petites fleurs rouges dont je ne connais pas le nom, des terrains vagues, des impasses, des feux de signalisation, des palmiers et des roselières. Et encore la mer.
Il y a des rangées de villas à Termini, des volets fermés, des stores baissés et du linge, des panneaux solaires et des haies, des vergers oubliés, des sens uniques, des pigeons ramiers, Iveco, les eaux du San Leonardo, une station électrique. Et la mer, toujours la mer.
J’ai vu quelques hirondelles sur le terminal pétrolier de Fiumetorto, des interdictions de stationner, des genêts et des coquelicots, le Torto, des citronniers et des liserons, des antennes de télévision, des eaux usées qui coulent vers la mer.
Il y a, à Campofelice, des orangers et des oliviers, des friches, des parkings, le torrent de Rocella, des maisons bourgeoises, des cactus, des eaux mortes, des portails, des serrures.
Entre Lascari et Cefalù, l’architecture et l’aménagement du territoire demeurent sommaires, il y a pourtant des pins, des courts de tennis envahis par la mauvaise herbe, des treillis, des taillis, des limitations de vitesse, plus loin quelques souvenirs normands, byzantins, arabes, la ville vendue aux marchands et des gamins qui se baignent.
On a retrouvé la semaine dernière des pierres du Pantocrator, de la Vierge et des apôtres au pied de la mosaïque de l’abside de la cathédrale. Des ouvriers montent aujourd’hui, avec baudriers et mousquetons, des échafaudages jusqu’au ciel, c’est un manque à gagner. Le marguiller m’annonce que, fort heureusement, peu de mariages ont été agendés. Dieu me regarde une dernière fois, avec une intensité que les circonstances pourraient justifier, avant que les rideaux ne tombent sur les soins intensifs et continus que les spécialistes vont lui dispenser pendant la semaine pascale, ce n’était pas prévu.