Chalet d’Orsoud

Corcelles-le-Jorat / 15 heures

Un papillon – Petite tortue – bat des ailes au-dessus de la barrière de ronces bordant le chemin qui descend au refuge des Censières, comme attiré par les rires qui recouvrent le chant devenu soudain discret de la fontaine. Ce sont ceux de cinq femmes qui se souviennent de Pristina; elles ont laissé leur mari au lit, à Malley où elles habitent depuis plus de vingt ans. Elles sont montées préparer un fli qu’elles leur ramèneront dans l’après-midi.
Que la ville mette du bois sec à disposition des usagers simplifie bien leur vie; elles ont préparé les deux foyers, mis en route les feux et distribué les rôles; elles se retrouvent ainsi aux Censières plusieurs fois par année, aiment rire le dimanche en albanais autour de leur cuisine de fortune.
Trois heures seront nécessaires pour faire dorer chacune des cinquante fines couches de pâte, que l’une d’elles étend dans une grande plaque ronde, qu’une seconde amollit en versant un mélange de beurre, de crème et de yaourt; la troisième boucle l’opération en déposant un plat de fonte débordant d’un dôme de cendres brûlantes. La quatrième regarde, la cinquième – plus jeune – apprend.
C’est que la petite dernière, celle qui parle un français impeccable, est de la troisième génération,. Elle va épouser cet été Blerim son amoureux. Et Blerim, c’est le fils de la meilleurs amie de sa mère, collègues au service de nettoyage de l’EPFL; elles sont toutes les trois là, la mère, la belle-fille et la fille: le fli a décidément de beaux jours devant lui.
Au retour premier tussilage, et nid de crocus dans le jardin.

Les Censières

Lausanne / 12 heures

On a capté l’eau du chemin des taupes, elle coule aujourd’hui de la fontaine des Censières sur le dos du soleil, bien au-delà du bassin qui la retient; même portée, même respiration inquiète que celle du passant fatigué. Le monde coïncide soudain avec lui-même, oreille et brise, les alentours en reconduisent les charmes.
Les sirènes résident dans les prairies – c’est Circé qui le dit à Ulysse – on les entend quand le vent tombe et le calme règne: bois secs et odeur de laine, pieds attachés et mains au mât, chant né d’un resserrement, fontaine dans le creux de la main – sans incidence sur rien. Y céder un instant, avant de faire mollir un peu de cire et reprendre la route.

La Corbassière

Montpreveyres / 11 heures

Ah voilà de la viorne! grappes de baies rouges, toutes nues près de la fontaine des Censières, dernières réserves au bout de l’hiver. Ah voilà de la pervenche ! débarrassée de la neige, tapis de feuilles vert luisant aujourd’hui, à l’aisselle desquelles s’ouvriront en mai une ribambelle de fleurs bleues.