Château de Rochefort

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Moudon / 17 heures

Quelque chose plutôt que rien: un château en Espagne, un beau mariage, la bibliothèque d’Alexandrie, un miracle, une semaine à Chamonix, une guérison… Ne pas perdre de vue pourtant le rien qui les précède et leur succède, jamais si cela se pouvait. Et se fondre aussi souvent que possible dans le décor, au service de personne.

Temple de la paroisse du Coude du Rhône

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Gravure sur bois | Sabot de Vénus | Olivier Taramarcaz

Martigny / 16 heures

Chaque dimanche, des monitrices d’histoire biblique – de milice, les plus retorses –, racontaient d’invraisemblables histoires à des groupes d’une douzaine de gamins crédules et analphabètes. Une bonne moitié demeuraient bouche bée avant de céder et de sourire à celles qui attendaient tant d’eux; ils reprendraient plus tard le flambeau et annonceraient à leur tour la bonne nouvelle. Deux ou trois se trouvèrent jetés en un solide porte-à-faux qui mit en péril leur santé mentale. Les derniers demeurèrent à l’écart, en bout de banc, assurés au-dedans que ces histoires méritaient une enquête fouillées et d’autres commentaires, qu’il serait toujours temps d’y revenir un jour. En attendant ils sont allés voir ailleurs, sans ressentiment ni regret, reconnaissants.

Le Biollay

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Chamonix / 14 heures

Une adolescente s’émerveille des prix affichés par la direction du Mont-Blanc sur les panneaux dressés à l’entrée de l’hôtel: entre 210 et 1825 euros la nuit; la chambre, précise la mère à sa fille soudain déçue. Elles entrent bientôt dans l’église Saint-Michel, vide, d’une sobriété inquiétante – grandes huiles plongées dans l’obscurité –, on peine à imaginer la semaine de Pâques dans un tel décor. Aucun ex-voto sur les bas-côtés, aucun dans le transept, pas même dans le narthex. La montagne n’est pourtant pas si différente de la mer, elle répond parfois aux prières des naufragés, la foi en a sauvé plus d’un.
Une Espagnole consulte sur la terrasse de l’hôtel de Chamonix de la documentation touristique sur la Grèce. Un agent local conseille à la table voisine deux Parisiens qui hésitent à engager 800 000 euros pour un appartement d’un peu moins de 100 mètres carré rue Whymper. Ils craignent que le prix de cet objet. qui pourrait bientôt prendre de la valeur, prenne l’ascenseur, ils envisagent une stratégie avant de se séparer.
Ils ne paient pas de mine: l’agent immobilier, qui n’a rien du loup, descend en direction de la place Balmat; la femme s’éloigne, s’assied sur un muret pour téléphoner à son banquier, petite, cheveux gras, combinaison vert pomme, traces de boue; son mari, du même acabit, quitte la terrasse, traverse la place avant d’entrer par la porte principale dans le hall de l’hôtel du Mont-Blanc.
Son volume imposant jette une ombre sur la place bordée à l’est par les portraits de ceux qui ont fait Chamonix: Balmat, de Saussure, Henriette d’Angeville, John Ruskin, Roger Frison-Roche… Ceux qui sont vraiment morts ne sont pas là, ils ont trouvé refuge au cimetière du Biollay derrière la gare de Montenvers. Parmi eux des guides, des randonneurs imprudents, des alpinistes malchanceux et leurs sauveteurs, ils sont souvent très jeunes. Leur prénom et leur nom, celui du glacier où ils ont disparu, du sommet dont ils ne sont pas revenus ou de l’aiguille qui a eu raison d’eux rassemblent sur une même pierre le jour où tout a commencé et le jour où tout s’est terminé comme si, en ce lieu, leur mort se confondait avec leur naissance.