Les enfants rêvent

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Les enfants rêvent lorsque les lumières de leurs parents projettent des ombres géantes. Ils s’en éloignent alors, non pas que ceux-ci n’aient pas été à la hauteur de leur tâche, bien au contraire, mais parce qu’ils se sont montrés incapables de revenir sur terre et de les entretenir de ce qu’ils ont dû passer sous silence pour en arriver là.
Au enfants de prendre au sérieux les ombres que leurs parents leur ont laissées, de déchiffrer leur danse ; de leur donner un visage, un nom, et un peu de cette lumière qui projette sur le rivage l’ombre de nos constructions de sable.

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Jean Prod’hom

Deux jeunes institutrices

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Deux jeunes institutrices boivent un thé sur la terrasse ensoleillée d’un tea-room du nord-vaudois ; elles évoquent la rentrée – c’était lundi – , se plaignent du peu de maturité de leurs élèves, de l’inefficacité des transports scolaires, de la responsabilité défaillante des parents, de l’aide de la direction qui ne vient pas.

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Elles insistent pourtant sur la beauté d’un métier qu’elles ont choisi, elles ne se sont jamais vues ailleurs. Elles évoquent leurs joies, leurs satisfactions et l’arrivée du nouveau prof de gymnastique. Elles confessent pourtant certaines de leurs difficultés et de leurs craintes, puis se moquent, gentiment, de l’une de leurs collègues qui, disent-elles, n’a vraisemblablement pas changé ses manières de faire depuis qu’elle enseigne. Elles racontent leurs projets, discutent pédagogie, avant d’échanger quelques-unes des idées qu’elles ont décidé de mettre en oeuvre.

– Je vais installer un coin-lecture, comme l’année dernière, au fond de la classe. Il suffit de dérouler un morceau de moquette, pas trop salissante, de placer contre le mur deux mini-matelas, à angle droit, et trois ou quatre coussins, jolis, de couleur, pour le confort. Quelques livres et le tour est joué.
– Tes élèves s’y rendaient souvent ?
– Non, jamais ! Tu sais, avec moi, ils ont toujours quelque chose à faire.

Jean Prod’hom

Heure blanche ce matin

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Heure blanche ce matin, Cossonay par la fenêtre de la classe 210. En contrebas l’entaille de la Venoge, au-dessus Mont-la-Ville, d’où sort un fil qui se tend à flanc de coteau jusqu’à la Praz ; plus haut la ligne verte du Jura, plus haut encore le ciel bleu. On devine le moulin de Lussery et la Sarraz, et le canal d’Entreroches, creusé dans le calcaire du Mormont par un Fitzcarraldo du XVIIe siècle, Elie du Plessis-Gouret, Breton établi à Delft. Regret. Ce rêve de grandeur, abandonné en 1648, aurait permis enfin de mêler les eaux du Nozon avec celles de la Venoge, et fait de Pompaples le centre de l’Europe, plaçant les ronges-pattes à mi-chemin de Marseille et de Rotterdam.

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Nous avons, du second étage des nouveaux bâtiments scolaires de la commune, une vue qu’aucun collège n’a jamais eue, baies vitrées si larges qu’elles permettent d’embrasser le monde de Genève à Bullet. Pourtant, il n’est pas si simple de détourner de leur tâche les enfants qui nous ont été confiés. Pas étonnant puisqu’on n’a cessé de leur répéter qu’il sont là pour travailler, qu’il est préférable qu’ils ne se laissent pas distraire et qu’ils persévèrent, malgré la peine, qu’ils avancent, avancent encore, Dieu seul sait où. Comment ces gamins pourraient-ils entendre dès lors l’invitation qu’il leur est faite d’aller rêver, nez contre la vitre, aux innombrables villages qui sommeillent ce matin, de répéter leurs noms : Sévery, Grancy, Vullierens et Senarclens, Apples et Ballens ; de buissonner le long du Veyron, et du Toleure, de l’Aubonne et de la Morges ; d’évaluer leur pente et les distances qui séparent les villages, de compter leurs habitants et d’écouter les histoires de leurs ancêtres, de suivre le tracé des deux tortillards et s’étonner.
Il semble que la fenêtre ne soit pas une ouverture, n’autorise pas le passage ; un courageux pourtant, parfois, suit d’un oeil distrait l’agitation d’une mouche qui cherche une issue, s’agitant contre les vitres, sur lesquelles on a collé, il y a quelques jours, des oiseaux noirs, leurres, ombres immobiles chargées d’avertir leurs frères de lumière, de ne pas venir s’écraser contre ces invisibles obstacles et les conchier, perturbant ainsi l’étude de nos gamins.
Rien décidément n’entrera dans cette salle ni n’en sortira, si bien que le château de Vufflens, la Dôle, Pampigny et Montricher, qu’on aperçoit au loin, n’auront pas plus de réalité que des rêves oubliés, et bien moins que les images de ces mêmes villages, de ces mêmes rivières, ces mêmes trains, ces mêmes hommes dans un livre de géographie ou d’histoire.
Pas sûr que l’école soit le meilleur moyen donné à ceux qui y entrent d’en sortir, ce n’est pas nouveau. Mais qui ira au chevet, depuis dedans, de ce qui se voit dehors ?

Jean Prod’hom