Il n’est peut-être pas si idiot de penser

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Il n’est peut-être pas si idiot de penser que le découpage disciplinaire auquel sont soumis les institutions scolaires constitue une lointaine conséquence de la division du travail, elle-même issue de la sédentarisation de notre espèce. Cette division a permis à certains de faire main basse sur les champs d’activités et, parmi eux, sur les régions de l’encyclopédie, en contrôlant les entrées et les sorties, en traçant des limites et en ménageant des passages, en établissant des langages et en cryptant des sésames. C’est vrai, cette conception a fait ses preuves ; plusieurs fois millénaires, elle ne compte pas ses réussites.

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Pourtant, les frontières entre les domaines de la connaissance (comme celles entre les états) tendent à redevenir poreuses ; et les succès dans la recherche dépendent toujours davantage de collaborations, d’échanges, d’emprunts, de mélanges, de greffes, de métissages, de traductions,… amenant l’ensemble des connaissances à redéfinir sans cesse les limites de leur territoire.
On pourrait souhaiter que la formation de nos enfants profite également de cette tendance et ne demeure pas aux mains d’enseignants issus d’une conception révolue de l’encyclopédie : géographie, allemand, histoire, mathématiques, physique…, une conception qui perdure certainement par inertie, mais aussi, et comment ne pas les comprendre, parce que ses dépositaires en tirent aujourd’hui leur gagne-pain.
Imaginons un instant que l’école se mette au diapason et renonce au découpage disciplinaire ; la voici qui serait amenée à réorganiser le temps scolaire, à reformuler le rôle des enseignants et à mobiliser l’enfant dès son entrée en classe, à mille lieues de cette vie de cul-de-plomb assisté qui caractérise l’écolier européen, enfermé dans une double grille, horaire et disciplinaire.
Celui-ci pourrait goûter un instant encore au plein air et aux joies des chasseurs-cueilleurs dans le jardin cadastré et protégé du néolithique dont nous ne sommes pas sortis, en songeant aux gains qu’il pourrait tirer personnellement de l’ensemencement du tout avec le tout, tout en rejoignant la fête mystérieuse à laquelle, qu’il le veuille ou non, il participera activement jusqu’à la fin.
Je rêve naturellement, mais j’ai entendu dire l’autre jour que les Finlandais – dont l’école, je crois, a fait ses preuves depuis plusieurs décennies –  avaient pris le parti de se débarrasser des disciplines. Il faut que je vérifie.

Jean Prod’hom

C’est le 21 août 1989

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C’est le 21 août 1989, il est 7 heures 30. La salle de classe est encore vide, mais des piles de livres et de cahiers trônent sur le bureau ; avec des agendas, un horaire, un programme, des chartes, des tableaux, des listes, une chaîne téléphonique, les dates des devoirs surveillés, du petit matériel, l’inventaire des tâches, des règlements et l’échelle des sanctions.
Tout devait aller droit lorsque les gamins entreraient ; c’était à moi de plier, si nécessaire, l’imprévisible aux impératifs, de le marier au dispositif, de le courber aux objectifs. Et si, malgré toutes les précautions, un peu de vie trouvait une ouverture, il suffirait de lui faire une petite place, ou de le feindre. L’imprévu s’épuise vite si on prend les mesures nécessaires, surtout qu’il ne fasse pas tache d’huile : fermer les portes et les fenêtres, et lui aménager une niche aux dimensions de la page A4. L’embarcation aurait tôt fait de rejoindre l’invisible chenal que chacun emprunte depuis 1803, de génération en génération.
J’ai voulu très modestement, à mon échelle, remettre sur ses pieds une école qui allait sur la tête, empoisonnée par des idées et des partis pris, une institution constamment sur le qui-vive, devenue timorée, méfiante, frileuse.

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Dernière rentrée scolaire demain matin. Sur un post-it, le rappel de quelques rendez-vous pris l’année dernière, et quelques fragiles convictions : les gamins ne sont pas des idiots et l’occasion fait le larron ; l’imprévisible fait partie de notre condition et certains biens sont souvent mal acquis ; la connaissance ne se construit pas brique à brique ; les programmes ne viennent qu’à posteriori souligner l’importance qu’une génération donne à certaines choses et à certains événements ; les nouveautés apparaissent à ceux qui acceptent d’avancer désarmés et parfois déboussolés…
Bien dormir surtout et m’y rendre sur un tapis volant, prendre les vents ascendants et ne pas les détourner de l’essentiel : lire, se repérer, écrire, observer, dire, balayer, raconter, calculer, s’égarer, écouter, rêver passer… Autant de verbes consubstantiels à nos vies. C’est déjà ça.

Jean Prod’hom

Dans les lourds sacs à dos de nos gamins

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Dans les lourds sacs à dos de nos gamins, des livres, des cahiers, des brochures, des dossiers qui voyagent de l’école à la maison, de la maison à l’école, à l’image des bûches de foyard que leurs grands-parents apportaient autrefois pour nourrir en hiver le poêle qui les réchauffait. Les temps ont changé, un simple parpaing règlerait désormais l’affaire.

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Jean Prod’hom