Davignac | le mercredi 17 juillet 2019

Cher Jean,

C’est un étrange périple que tu as accompli à travers les âges, avec Muh, Gaur, Tobie de Castella, d’autres encore.
Ce mot des paysans du Gers, aux enterrements: « Nous ne sommes pas d’ici. » Sans doute. Mais d’autres ont eu, avant nous, comme nous, leur petit moment dans la lumière tiède et le nôtre, si y nous songeons – ce que tu as fait – s’en trouve accru, élargi, approfondi. Merci de ton envoi.

Amitié.
Pierre

Collier de perles

Escapade aujourd’hui à Wimereux puis à Boulogne. Il fait un cagnard du diable dans le nord, il est midi au tea-room, l’air y est frais. Sandra passe la commande au comptoir tandis que j’occupe deux des quatre places restantes, il y a du monde et les places sont chères. Une mère et sa fille ont manqué d’un rien la table qui vient de se libérer, une employée les invite à s’asseoir à nos côtés. Ce sera un sandwich pour la fille, une copieuse salade aux langoustines pour la mère. Je change derechef d’avis, trop tard, ma voisine a pris la dernière. On s’affaire le nez dans nos assiettes, on parle, on tend chacun l’oreille au propos des inconnus. Notre voisine nous avouera plus tard que notre accent a assez tôt trahi notre provenance. On devine de notre côté que la mère et la fille ont dressé leur tente dans un camping près d’Audresselles; venues la veille avec celui qui doit être à la fois le père et le mari ou le compagnon, elles ont prolongé d’un jour toutes les deux leur séjour. Il aura suffi d’un rien, d’une seule interpellation -créative- autour des langoustines et de la vie au camping, pour que la mayonnaise prenne, légère, heureuse, imprévisible. Tout s’ensuit, à la fois source et delta: l’enfant préfère la piscine à la mer et le salami aux tomates, les glaces aux chips et deux sodas plutôt qu’un. La mère nous apprendra bientôt qu’elle est chargée de cours à Lille, dans le département de sociologie et d’anthropologie; elle nous parle de ses recherches sur les mineurs en Afrique du Sud, de sa thèse, de la figure ouvrière, du post-classisme. De fil en aiguille je lui parle d’Alfred Métraux et de son suicide, elle connaît Mondher Kilani. On avance ainsi sur un fil et, de chemin de traverse en chemin de traverse, de patte d’oie en patte d’oie, nos horizons s’élargissent, s’apparient et font clignoter leurs points de tangence. Si n’avait-été l’enfant qui a ramené sa mère a ses réalités , nous aurions continué la conversation. On l’a suspendue, c’est parfois mieux ainsi.

Avant-hier le concierge de l’ossuaire allemand du Mont-de-Huisnes, hier un ancien préposé d’ambassade recyclé dans l’immobilier au cimetière d’Audresselles, aujourd’hui une anthropologue au Comptoir du pain de Wimereux, autant de rencontres improbables qui balisent l’énigme, autant de visages qui éclairent les suivants. Je les imagine tous trois assis à cette table du Royal de Boulogne-sur-Mer, où je bois un café et écris ces mots, le concierge, l’ambassadeur, l’anthropologue. Et ce sont tous ceux qui nous entourent que je voudrais désormais inviter pour enfiler  avec eux le collier de perles qui nous rassemble.

 

Messe à Audresselles

Deux rassemblements ce matin à Audresselles, un vide-grenier et la messe. Je commence par le bric-à-brac du premier avant de me rendre à l’église patronnée par Jean-Baptiste; elle est curieusement éloignée du village, pas seule pourtant, puisqu’un cimetière bien nanti l’entoure. J’y entre et croise un homme qui est sur le point d’en sortir. Il me demande si je cherche un mort.

-Non, c’est une visite générale. -Vous connaissez  Maurice Boitel? -Non! -C’est pourtant un peintre bien connu, mort ici à Audresselles en 2007.

L’homme me désigne une pierre un peu plus loin, des fleurs des champs ont été déposées, l’artiste a donc encore des admirateurs. On se rend ensuite ensemble dans l’église. Le curé enfile ses habits de messe dans la sacristie avant de venir nous saluer, mon guide est connu, il se comporte d’ailleurs comme s’il était chez lui. Il m’emmène dans le chœur, fermé à l’orient par trois peintures de belles dimensions qu’il commente: une Visitation à gauche, la décapitation de saint Jean-Baptiste au milieu, le Baptême du Christ à droite. Mon guide précise que le Baptême sort des ateliers de J-P Migne. Très endommagé, il a retrouvé sa place en juillet 2011, grâce aux donations, du conseil général du Pas-de-Calais, de la municipalité d’Audresselles, de la paroisse N.D. des Flots et d’un couple de riches Hollandais. Je prends place à l’arrière de l’embarcation, mon nouvel ami vient s’asseoir à ma droite, il laisse sa femme aux avant-poste à côté des lecteurs du jour. C’est elle qui tiendra le micro, qui entonnera les chants et les réponses liturgiques; c’est elle qui fera les annonces de la semaine à venir; elle encore qui accueillera les trente scouts belges qui entreront en cortège dans l’église, porte-enseigne et porte-drapeau en tête.  Son mari sourit. Le curé fait bien son job, explique les gentillesses du Christ avec Marie et ses gronderies à l’égard de Marthe. La première n’a qu’une seule chose en tête dans sa vie, Marthe en a trop, s’agite en tous sens, perd de vue ce qui pourrait rassembler ses nombreuses actions. Il exhorte ses auditeurs à profiter de leurs vacances pour se rassembler eux aussi.Je ne lui donne pas tort. Les scouts communient, mon voisin aussi. En sortant de l’église, celui-ci me demande qui je suis et ce que je crois, d’où je viens et où je vais. Il se présente à son tour. L’homme a travaillé dans les ambassades et arrondit aujourd’hui ses fins de mois dans l’immobilier. Il s’appelle Dominique, c’est lui qui est à l’origine de la restauration du Baptême du Christ. Il s’appelle Dominique Paul, Dominique Paul Boitel, c’est le fils du peintre.

Je termine la journée sur la route de Calais, par la côte et Sangatte. Je fais une halte à Peuplingues, la route principale est fermée à cause d’un vide-grenier. C’est une réplique de celui d’Audresselles: mêmes livres, mêmes babioles, mêmes visages, même pauvreté. L’eurostar est à l’heure à Fréthun. Oscar fait la fête à Sandra.