Messe à Audresselles

Deux rassemblements ce matin à Audresselles, un vide-grenier et la messe. Je commence par le bric-à-brac du premier avant de me rendre à l’église patronnée par Jean-Baptiste; elle est curieusement éloignée du village, pas seule pourtant, puisqu’un cimetière bien nanti l’entoure. J’y entre et croise un homme qui est sur le point d’en sortir. Il me demande si je cherche un mort.

-Non, c’est une visite générale. -Vous connaissez  Maurice Boitel? -Non! -C’est pourtant un peintre bien connu, mort ici à Audresselles en 2007.

L’homme me désigne une pierre un peu plus loin, des fleurs des champs ont été déposées, l’artiste a donc encore des admirateurs. On se rend ensuite ensemble dans l’église. Le curé enfile ses habits de messe dans la sacristie avant de venir nous saluer, mon guide est connu, il se comporte d’ailleurs comme s’il était chez lui. Il m’emmène dans le chœur, fermé à l’orient par trois peintures de belles dimensions qu’il commente: une Visitation à gauche, la décapitation de saint Jean-Baptiste au milieu, le Baptême du Christ à droite. Mon guide précise que le Baptême sort des ateliers de J-P Migne. Très endommagé, il a retrouvé sa place en juillet 2011, grâce aux donations, du conseil général du Pas-de-Calais, de la municipalité d’Audresselles, de la paroisse N.D. des Flots et d’un couple de riches Hollandais. Je prends place à l’arrière de l’embarcation, mon nouvel ami vient s’asseoir à ma droite, il laisse sa femme aux avant-poste à côté des lecteurs du jour. C’est elle qui tiendra le micro, qui entonnera les chants et les réponses liturgiques; c’est elle qui fera les annonces de la semaine à venir; elle encore qui accueillera les trente scouts belges qui entreront en cortège dans l’église, porte-enseigne et porte-drapeau en tête.  Son mari sourit. Le curé fait bien son job, explique les gentillesses du Christ avec Marie et ses gronderies à l’égard de Marthe. La première n’a qu’une seule chose en tête dans sa vie, Marthe en a trop, s’agite en tous sens, perd de vue ce qui pourrait rassembler ses nombreuses actions. Il exhorte ses auditeurs à profiter de leurs vacances pour se rassembler eux aussi.Je ne lui donne pas tort. Les scouts communient, mon voisin aussi. En sortant de l’église, celui-ci me demande qui je suis et ce que je crois, d’où je viens et où je vais. Il se présente à son tour. L’homme a travaillé dans les ambassades et arrondit aujourd’hui ses fins de mois dans l’immobilier. Il s’appelle Dominique, c’est lui qui est à l’origine de la restauration du Baptême du Christ. Il s’appelle Dominique Paul, Dominique Paul Boitel, c’est le fils du peintre.

Je termine la journée sur la route de Calais, par la côte et Sangatte. Je fais une halte à Peuplingues, la route principale est fermée à cause d’un vide-grenier. C’est une réplique de celui d’Audresselles: mêmes livres, mêmes babioles, mêmes visages, même pauvreté. L’eurostar est à l’heure à Fréthun. Oscar fait la fête à Sandra.

L’Ossuaire du Mont-de Huisnes

Près de 12000 corps reposent dans le cimetière militaire allemand du Mont-de-Huisnes, tout près d’Avranches, sur une colline où se dressait autrefois un moulin face au Mont-Saint-Michel: un bâtiment circulaire, deux étages, cent huitante morts dans chacune des soixante-huit cryptes. Beaucoup de soldats, des femmes aussi, plus de soixante enfants, tous allemands.
J’ai fait la causette avec le jardinier, il habite Céaux et sa mère a vécu la guerre à Huisnes. Il travaille depuis vingt-deux ans sur le site dont il assure la conciergerie; il tond la pelouse et taille les rosiers, accueille les visiteurs. Les familles allemandes se font plus rares, il faut dire que beaucoup des jeunes victimes de cette sale guerre n’ont pas eu d’enfants. Inutile de le regretter, les liens se distendent, les souvenirs aussi.
A l’inverse, on peut regretter que les nations imposent leur logique de guerre dans le regroupement de leurs morts. A cet égard, le jardinier de Céaux m’a raconté une belle histoire, elle concerne un soldat anonyme mort en 1944, que des inconnus avaient enveloppé après la bataille dans une vareuse allemande et qu’on a conduit, le moment venu, au Mont-de-Huisnes.
Jusqu’à ce que, il y a cinq ans, en conclusion d’analyses génétiques très poussées, les commanditaires d’une enquête longue et difficile fournissent la preuve que le corps mort emmailloté dans une vareuse allemande était habité avant de mourir par un Canadien. La famille préféra rapatrier ses restes outre-atlantique. Bêtement: de cette erreur d’attribution, il y avait assurément mieux à faire.

 

Audresselles

Ce n’est pas un hasard si j’ai fait la connaissance, il y a deux ans, de Patrick Vincent, professeur d’anglais à l’Université de Neuchâtel. Je lui dois la confirmation des liens qui unirent Thoreau et Agassiz au milieu de XIXe siècle. Faut dire qu’il leur doit de son côté le motif de sa belle conférence inaugurale (le chapitre VI de Novembre en rend compte). Je l’ai revu, en vrai cette fois, à Dorigny, il y a un mois, à l’occasion du vernissage d’un livre auquel il a participé: Le Poème et le Territoire. Il m’a parlé à cette occasion des traductions du Prélude de Wordsworth; j’en ai  lu depuis les extraits disponibles. Et puis il m’a écrit hier ceci:

Je viens de terminer « Novembre » que j’ai lu avec beaucoup de bonheur, le sirotant étape par étape comme un grand whiskey ! Cela m’a pris un mois pour parcourir votre parcours d’une semaine, comme quoi la marche, mais surtout l’attention aux détails, peut ralentir le temps. J’ai l’impression d’avoir découvert une région, qui, jusqu’à maintenant, me paraissait aussi plate qu’inintéressante. Ma famille a dû subir toute l’histoire de la correction des eaux, et même les betteravesm’intriguent un peu plus qu’avant. Votre style est aussi sobre que le thé et les fruits secs qui ont alimenté votre épopée (j’étais tout de même soulagé lorsque vous vous êtes remis au café et au vin suite au décès de votre ami). Merci pour ce beau livre qui deviendra, je l’espère, un classique, et où je suis très honoré de figurer. Je l’ai prêté à mon père, qui va sûrement l’aimer, et je vais également le recommander aux amis et connaissances. 

Non content de me faire, hier, ainsi rougir, Patrick Vincent m’envoie aujourd’hui, un lien sur une recension dans Arcinfo, signalant Huit lectures pour découvrir la Suisse autrement Novembre en fait partie.

Le plateau suisse à pied en un roman

Seul roman des huit ouvrages proposés ici, «Novembre» est un fabuleux récit de voyage à la première personne qui vous plonge sur les sentiers du Seeland. L’auteur, Jean Prod’hom, a découpé son ouvrage d’après son itinéraire, en douze étapes. Un parcours existentiel de dix jours, sac au dos, au départ du Riau sur les chemins de la Sarraz, d’Yverdon, Portalban, Ins, Bargen… Direction «les terres du Nord que les hommes ont trop souvent désertées, là où le présent bégaie, l’avenir hésite et le passé s’attarde». Le lecteur marche avec avidité dans les pas de son guide, que son départ à la retraite couplé à la maladie grave de l’un de ses amis a poussé sur les routes, à la recherche de sérénité.

Pour qui? Celles et ceux qui aiment découvrir la Suisse à travers les mots et les yeux des autres. Contée par Jean Prod’hom, elle est une terre d’histoire, d’agriculture, de barrages, de vertes prairies, de films oubliés, d’auberges sur le bord du chemin, et d’une nature qui déploie ses merveilles au fil des pas du marcheur. La lecture de «Novembre» donne envie de se jeter sur les routes du Seeland, sur les traces de Jean Prod’hom.

Le passage. «Les îles sont des refuges et des rampes de lancement; on y est tourné vers le large, on ne s’y enterre pas. Nous avons tous un irrépressible besoin d’île et d’une embarcation pour nous en évader.»

Le +. Jean Prod’hom a glissé dans son livre quelques images de son périple sur les routes du Plateau suisse. Autant de petits cailloux semés çà et là, qui donnent un contexte visuel bienvenu.

A quoi bon, ici en Picardie, à Audresselles, il pleut.