Moille-aux-Blanc

Riau Graubon / 13 heures

Le colonel Friedrich Schwab (1803-1869) a le temps, n’a du titre que le nom; son père lui a remis une fortune amassée au Portugal grâce au commerce des indiennes; il siège au conseil municipal, chasse et se passionne dès le milieu des années quarante pour l’Antiquité, pour son compte, sans trop se mêler à la communauté scientifique.
Mais Friedrich Schwab ne collecte pas seulement des objets préhistoriques, il entasse des tableaux, des vases de prix, des vitraux, des objets provenant du trésor de Bienne rachetés en 1798, des bahuts, des armoires, des vieilles armes entassées dans sa maison, dans un désordre qu’on n’imagine pas. Schwab achète la collection dont Emmanuel Müller veut se débarrasser en 1856; entrent alors dans son bric à brac plusieurs dizaines de récipients en terre cuite, une centaine d’épingles, des couteaux en bronze, des armes,…
Si l’homme est fier, refuse de collaborer avec Napoléon III et de lui vendre ses trouvailles, Schwab essaime: il offre certains de ses objets au Musée de Saint-Germain-en-Laye, au British Museum de Londres au Rheinische Landesmuseum de Trèves.
En 1865, il lègue à la Ville de Bienne sa collection d’armes préhistoriques, de parures et d’outils domestiques que lui et ses pêcheurs ont tirés des sites lacustres des Trois-Lacs. Plus de 4500 objets dont il a échangé les doublons avec d’autres passionnés européens. Avec pour condition que la Ville n’en cède aucun et la complète. Les âmes pieuses prétendent que, s’il s’en sépare, c’est pour qu’ils soient exposés et contribuent à l’édification de la population biennoise, et plus particulièrement à l’éducation de sa jeunesse. Schwab ne publiera jamais rien sur ses collections.
La Ville de Bienne accepte le cadeau mais peine à trouver un lieu où l’exposer, la population montre peu d’intérêt à s’engager financièrement pour l’édification d’un musée. Pour compléter la somme nécessaire à son financement, on pioche dans les 60 000 francs donnés par Schwab, destinés à l’acquisition de nouveaux objets et au salaire du concierge. Si l’on sait que la Société agricole de Witzwil dans laquelle une partie de cette somme fut engagée fit faillite en 1879, on comprend que le projet ait mis du temps à aboutir.
La Commission du futur musée, contrairement à la volonté de Schwab, projette de compléter ses trouvailles préhistoriques par des objets appartenant au patrimoine de la Ville de Bienne, des animaux naturalisés et des fossiles, la bibliothèque morale et philosophique de la ville, des monnaies, des tableaux si bien que, malgré l’interdiction qui figurait dans son testament, la Commission se trouve dans l’obligation de mettre aux enchères publiques les objets préhistoriques dont elle veut se débarrasser.
On pose la première pierre du musée en 1871 et on l’inaugure en 1873, il est plein à ras bord avant son ouverture; bientôt viennent s’ajouter les portraits des Princes-Evêques, des mâchoires de requins, des vieilles horloges, des instruments de musique, des fossiles, le crâne d’un Indien Dakota, des squelettes d’animaux, un herbier, des dents de mammouth. Il faut agrandir, l’histoire du musée Schwab c’est l’histoire d’une extension qui n’aura jamais lieu.
Un débat démarre dans les années 30 autour; l’idée d’un musée biennois du patrimoine est fustigée par Werner Bourquin au prétexte que l’amoncellement d’objets ne fait qu’encombrer les lieux et provoque un ennui sans borne. Au contraire, continue Bourquin, des musées spécialisés, centrés sur des domaines bien délimités, l’archéologie par exemple ou les Beaux-Arts, auront du succès.
Renoncer à certaines collections permit donc de remédier au manque de place, on utilisa des caves privées, des salles de l’Hôtel de Ville ou les combles des écoles pour les stocker, dans des conditions si précaires que certaines collections feront le délice des écoliers, des objets seront endommagés, empruntés, perdus. Ils seront réinventoriés en 1976, une nouvelle fois stockés, transférés, cédés lorsque cela se peut à titre de prêt permanent.
Depuis, toutes les collections ont fait l’objet d’une saisie informatique, elles sont désormais en lieu sûr dans les dépôt de biens culturels du Battenberg, une ancienne installation de protection civile, sous surveillance et dans des conditions climatiques optimum.
En 2012 le Musée Schwab intègre la Fondation Neuhaus; les deux institutions fusionnent sous le nom de NMB. Cette nouvelle unité intègre la collection Robert, les collections historiques de la ville, la collection Karl et Robert Walser et celle du colonel Schwab confiée à la Fondation Neuhaus à titre de prêt permanent.
Je suis allé hier au NMB. Les quelques objets ramassés par Schwab et ses pêcheurs qu’on peut y voir ne se trouvent plus dans les deux étages du bâtiment construit pour ses collections, mais dans un espace réduit, au rez de la maison Neuhaus. Pas sûr que le colonel eût été très content.

PS
Victor Gross, un médecin de la Neuveville veut se débarrasser d’une collection de plus de 10’000 objets préhistoriques ramassés après la correction des eaux du Jura. L’homme qui se consacre exclusivement au commerce en vend à tort et à travers, à des privés et à des musées français, britanniques, allemands. L’université de Princeton au New Jersey lui achète un lot de 2000 pièces. La Confédération ne veut pas demeurer en reste, en 1884 elle lui achète 8277 objets qui finiront au Musée national suisse à Zurich.

Les fouilles à titre privé ont été interdites en 1873, mais pour financer les fouilles, les ventes d’objets se poursuivent, il y a décidément de la réserve.

Sources | Musée Schwab, Albert Hafner, Nicole Jan, Antonia Jordi, Margrit Wick-Werder, NMB, 2013

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Un député raconte en 1835 avoir entendu répondre à un maître d’école ayant demandé à un élève où Jésus-Christ avait été crucifié: à Bethléem dans une étable.

Quai du Bas 45

Bienne / 15 heures

La prière cette nuit
sera mon seul propos.
Car je l’ai accompli,
car je l’ai bien gardé,
ce jour; je peux me reposer.


Robert Walser, Gedichte 1909
Au bureau, Zoé, 2009
traduction Marion Graf

Si les musées dédiés à l’histoire et aux civilisations permettent de réfléchir, comme l’écrit le directeur du NMB en 2012, à notre condition humaine et à notre positionnement au cours de l’histoire, ma visite de ce matin m’aura confirmé dans l’idée qu’on ne se presse pas au portillon: personne quand je suis arrivé à 11 heures, personne lorsque je suis parti à 15 heures, ni au musée Schwab ni au musée Neuhaus.
J’y apprends au passage que le père du colonel Friedrich Schwab, David a fait des affaires au Portugal avec des indiennes. Le fils n’a pas eu besoin de travailler. Il siège au Conseil municipal, chasse et étudie l’Antiquité; il paie des ouvriers à la journée pour pêcher des objets lacustres, rachète la collection de l’antiquaire Müller de Nidau – récipients, épingles, couteaux… En 1861 il engage un cantonnier à l’année pour extraire les objets du fond du lac. L’homme a sa fierté, il refuse en 1863 de travailler pour Napoléons III, ou de lui vendre sa collection; mais l’homme est généreux, il met à disposition de l’empereur certaines armes pour que ses archéologues puissent en faire des moulages. Schwab et ses ouvriers collecteront plus de 4500 objets.

Retour à 17 heures par Studen qui ne ressemble décidément à rien, par Aarberg – les fours sont éteints –, par Salavaux où les digues de la Broye sont levées; je fais quelques courses à Avenches, passe à la laiterie de Corcelles et prépare le repas.

Bibliothèque

Riau Graubon / 21 heures

Ils avait du monde à Oron, hier soir, à l’occasion de la projection en avant-première du beau film de Mélanie Pitteloud – Dans le lit du Rhône. Notamment un chef de service du Département de l’économie, de l’innovation et du sport et un chef de division du Département du territoire et de l’environnement. L’un et l’autre à qui j’ai expliqué brièvement ma petite affaire ont gentiment accepté qu’on se rencontre pour parler de la correction des eaux du Jura, des problématiques devant lesquelles notre canton se trouve, dans la plaine de l’Orbe et la Broye vaudoise, des travaux de renaturation à l’embouchure de cette rivière à Salavaux, de l’avenir de la culture de la betterave et des jachères. Je leur écris un mot pour fixer un rendez-vous.

Croisière sur les trois lacs, de Bienne à Morat. considérations sur l’abbaye de Saint-Jean et sur le domaine de Montmirail. Je prends le train à Morat en début d’après-midi, en descends à Châtillens. Passe à la Fontanelle la semaine suivante. Fin. Un nouveau travail commence, dans la masse, que je souhaiterais terminer fin mars. Commencera alors, je l’espère, le meilleur.

Le roman se distingue de toutes les autres formes de prose littéraire – des contes, des légendes et même des nouvelles – en ce qi’il ne provient pas de la tradition orale, et n’y conduit pas davantage. Mais, par ce trait, il se distingue au premier chef du récit. Le conteur emprunte la matière de son récit à l’expérience: la sienne ou celle qui lui a été rapportée par autrui. Et ce qu’il raconte, à son tour, devient expérience en ceux qui écoutent son histoire. Le romancier, lui, s’est isolé. Le lieu de naissance du roman, c’est l’individu dans sa solitude, qui ne peut plus traduire sous forme exemplaire ce qui lui tient le plus à coeur, parce qu’il ne reçoit plus de conseils et ne sait plus en donner. Ecrire un roman, c’est exacerber, dans la représentation de la vie humaine, tout ce qui est sans commune mesure. Au coeur même de la vie en sa plénitude, par la description de cette plénitude, le roman révèle le profond désarroi de l’individu vivant.

Walter Benjamin, « Le conteur in Oeuvres III », Gallimard, 2000