Cuisine

Riau Graubon / 17 heures

Après-midi au Seeteufel de Studen, il fait beau; les animaux semblent vivre par habitude derrière leurs barreaux; comme les prisonniers ils ne renoncent pas. Je suis si fatigué que je m’endors sur un banc. De Studen à Meienried il y a une bonne heure de marche sur un chemin qui longe l’ancienne Aar; j’arrive à Meienried avec la nuit.
Nuit aussi ici au Riau, ou presque, c’est le dernier moment; je me maudis de ne pas être sorti plus tôt, quelques pas suffisent parfois pour que les noeuds se défassent, ou plutôt que se présente, sans l’avoir demandé, un peu de cette lumière qui vient éclairer du dehors ce qui s’obscurcissait au-dedans. On découvre alors qu’il n’y a plus aucune raison  de s’en débarrasser ou de le simplifier. Un pas de retrait, un pas de côté et tout se remet à danser.

Nos amis couraient plus qu’ils ne marchaient en descendant la pente du vallon. Ils atteignirent les jardins, menant grand bruit, traversèrent la première passerelle puis la seconde. Ils longèrent ensuite l’eau et pénétrèrent dans l’un de ces jardins, tout dévorant de lilas, de noyers et de tilleuls. C’était le jardin d’une auberge. Ils prirent place autour d’une de ces tables aux pieds plantés dans l’herbe, faites de planches clouées sur lesquelles d’autres, assis là avant eux, avaient gravé des coeurs et des noms. Ils commandèrent à déjeuner, chacun selon son goût. Après avoir mangé, ils jouèrent quelque temps avec un caniche qui se trouvait dans le jardin, payèrent et s’en allèrent. Par l’ouverture du vallon, on débouchait dans une autre vallée, plus large celle-là, où coulait un vrai fleuve. Parvenus à la rive, ils détachèrent une barque et traversèrent, ignorant que l’endroit était dangereux. Des femmes qui passaient par hasard furent très effrayées de les voir faire. Une fois de l’autre côté, ils donnèrent quelques pièces à un homme qui voulut bien ramener l’embarcation et l’amarrer là où ils l’avaient prise.

Adalbert Stifter, L’Homme sans postérité, 1844
traduction Georges-Arthur Goldschmidt, Libretto, 2011

 

Croisière
Bienne – Morat

Bienne: 9 heures 45
– canal Nidau-Büren
Tüscherz : 10 heures 00
Wingreis: 10 heures 05
Twann 10 heures 15
Ligerz: 10 heures 25
– Hagneck
– Lüscherz
– Schalterain
Saint-Pierre: 10 heures 35
– débarcadère nord de l’île
– chemin des Païens
La Neuveville: 10 heures 50
Erlach: 11 heures 00
Jolimont
Le Landeron: 11 heures 10
– débarcadère
– Saint-Jean
– pont de Saint-Jean
– Cressier
– Cornaux
– Thièle
– pont routier
– pont de chemin de fer
– campings
La Tène: 11 heures 40
– Chablais
– Fanel
– Vully
La Sauge: 12 heures 10
– débarcadère
– l’auberge
– le pont
– les campings

Sugiez: 12 heures 40
– débarcadère
– les campings
Morat: 13 heures 00

Domaine Bovy

Chexbres / 13 heures

Ciel bleu et prés blancs au Riau. J’écris une ou deux choses qui me sont arrivées un matin d’octobre au Florida de Studen. J’avance avec précautions, sans notes, en évitant de fermer les portes derrière moi et en maintenant le maximum de largeur possible. Une chose s’est jouée là, qui réoriente la suite de mon affaire, en lui donnant une autre vitesse et une autre pente, et sur laquelle il va m’être difficile de revenir.
Grand tour avec Oscar dans les bois, on remue la neige. Je fais un saut à la déchèterie avant de descendre à Vevey, par Chexbres où je fais une pause, dans les vignes, sur le banc d’un cabanon de vignerons. Rien ne presse.

Françoise lit, Edouard n’est pas là, il est dans les galeries d’art genevoises. On partage un café et des pâtisseries, je lui raconte mon affaire, elle écoute. On boit un second café avant de remonter à Chexbres où je la dépose. Les filles rentrent de l’école quand j’arrive au Riau. Départ pour Pampigny avec Lili qui profite du trajet pour cirer ses jambières et ses chaussures. Verveine à l’auberge du Chêne.

Johann Rudolf Schneider est né à Meienried en 1804, à la confluence de la Thièle et de l’Aar. Il se rend à l’école à Büren, pour autant que le régime des eaux de l’Aar le permette; il est le cadet de six enfants et ses parents vivent des produits de terre, menacés chaque année par les crues des deux rivières; ils tiennent également une auberge Zur Galeere, où font halte les barques qui montent le chasselas du Lavaux à Soleure.
Rudolf Schneider commence un apprentissage de pharmacien qu’il interrompt pour commencer des études de médecine à Berne puis à Berlin. Il ouvre une pharmacie et un cabinet à Nidau dans l’intention de soulager les Seelandais qui souffrent de maladies chroniques et d’épidémies dont sont responsables les marais et une pratique médicale médiévale.
Schneider est âgé de 29 ans lorsqu’il se retrouve à la tête d’une association née à Nidau qui a vocation de trouver une solution aux problèmes liés aux inondations. Il rédige à 31 ans un mémoire dans lequel il démontre le lien existant entre l’état sanitaire de ses concitoyens, la misère locale et les marais; il charge le populaire Jeremias Gotthelf d’écrire un roman pour disqualifier les guérisseurs et les charlatans, ce sera Anne-Bäbi Jowäger. il propose en outre des travaux de grande envergure, le détournement de l’Aar dans le lac de Bienne, la canalisation le la Broye, de la Thièle, l’assèchement des marais et leur mise en culture. Mais le prix de ce chantier pharaonique nécessite une concertation entre les cinq cantons directement concernés, des cantons en aval et de l’état central. Schneider s’engage donc dans une carrière politique qui le mène à Berne au Grand Conseil, au Conseil d’Etat ensuite, au Conseil national enfin; il parvient à convaincre en 1850, avec d’autres radicaux, la toute jeune Assemblée fédérale de financer la correction des eaux du Jura, en recourant à l’article 21 de la Constitution qui lui donne le droit de participer aux travaux qui intéressent l’ensemble du pays ou une partie considérable de celui-ci.
Le chantier est ouvert en 1867, Schneider est arrivé à ses fins. Il assiste à l’ouverture du canal de Hagneck en 1878, il a 73 ans. Il meurt deux après.

Sources | Schloss Museum Nidau

Hagneck

Hagneck / 15 heures

L’inconnu qui a emprunté une barque au port de Lüscherz pour rejoindre l’île Saint-Pierre me demande une fois les pieds sur terre si je veux bien la ramener où il l’a prise. Comment refuser?

Il pleut ce matin à Sugiez; j’écoute au réveil, dans la pénombre derrière un store à lamelles, un universitaire allemand parler du Campo Santo de Sebald. Je reprends ensuite le chemin qui m’a conduit, il y a deux mois, de Aarberg à la zone industrielle de Studen.
Malgré le sale temps je me rends à Ins, trouve une place de parc à côté de la gare. Il est 11 heures lorsque j’enfile ma veste, je monte derrière l’église en direction du sommet du Schalterain. Il a cessé de pleuvoir, le chemin coule en pente douce jusqu’à Hagneck. Lorsque le lac de Neuchâtel puis celui de Morat ont disparu, celui de Bienne guigne et j’entends à midi sonner les cloches d’Erlach. Le vent et la pluie ont fait des dégâts, le chemin est encombré de chablis.
La colline du Budlig s’interpose devant le lac que je ne reverrai qu’à Gurzelen, du haut des pâturages et des vergers qui descendent jusqu’à Lüscherz: l’hôtellerie de l’île Saint-Pierre, vide à cette saison, a les yeux grands ouverts, le cordon de terre qui attache l’île au continent s’est rétréci depuis les pluies de la semaine passée, mais il ne rompra pas. J’entends chanter un coq à l’entrée de Lüscherz, mange une vilaine salade au bord du lac que je longe jusqu’au barrage d’Hagneck. Le train a un peu de retard, j’y monte à 15 heures 15.

Arrêt au centre commercial d’Avenches où je fais quelques courses et bois un café. Il pleuvine lorsque j’en sors. C’est sur la route de Berne que j’entrevois une solution, une réponse, une issue, une relance à laquelle je n’avais pas songé, qui a eu le mérite de tarder à venir et de me forcer à aller plus loin, à me faire patienter. Il a neigé au Riau.