Jardin

Riau Graubon / 16 heures

Dans les lacunes que les systèmes immanquablement produisent, croissent des rêves d’où se lèvent entiers, malgré la difficulté de leur exécution et la répugnance que leur opposent les gardiens du temple, des mondes à leur commencement.

Puissions-nous vivre un peu plus sur la retenue et laisser le solde de notre salaire à ceux qui en ont besoin.

Notre jardin est une immense cage sans fils, barreaux ou portes où l’oiseau chante, mû par la joie extraordinaire à laquelle il s’adonne si aisément, où nous entendons la réunion de plusieurs voix qui ne serait que discordance en lieu clos, où nous pouvons, enfin observer à loisir l’économie domestique ses oiseaux et leurs comportements qui sont fort divers et savent souvent arracher un sourire à la plus profonde gravité. on ne nous a point imités dans cette préservation d’oiseaux en un jardin. Les gens ne sont point endurcis contre la beauté de l’oiseau ni contre son chant; ces deux qualités font même l’infortune de l’oiseau. Ils veulent jouir de celles-ci, les goûter au plus près et comme ils ne sauraient édifier, comme nous, une cage aux fils et au barreaux invisibles où ils pourraient saisir l’âme spécifique de l’oiseau, ils en font une visible où l’oiseau est captif et chante sa mort prématurée.

Adalbert Stifter, L’Arrière-saison (1857)
traduction Martine Keyser, Paris, Gallimard, 2000

Coude de la Corcelette

Riau Graubon / 16 heures

Fin des vacances, bientôt lundi; on entend les gamins grincer des dents, s’assombrir, convaincus comme ceux qui les entourent qu’ils n’ont pas le choix, rien d’autre à faire. Sinon hériter, ils l’espèrent, de la fève du gâteau des rois et caresser Fleur le chat qui dort en-haut  au grenier.
Et puis se blottir dans la nuit, effleurer les plis de leur couette le regard tourné vers l’orient. Me voilà rassuré, l’air frais du matin finira le travail, les remettra au contact de ce dont ils se croyaient pour toujours coupés.

C’est au bord de la Thièle je crois, après avoir lu une brochure décrivant ce qu’ont vécu des détenus de la colonie agricole de la plaine de l’Orbe – des raisons de leur internement à leurs tentatives d’évasion, de leur santé et de leurs peines, de leur contribution à l’immense chantier de l’assainissement des marais – que j’ai eu le désir d’écrire sur une seule page, mais je ne suis pas poète, leur histoire avec dedans de la boue et de la brume, le passé, le froid et la neige, des rêves, des éclaircies, le clic—clac des verrous et des échappées belles, des loutres et des castors, la mort et les ciels changeants, les pommes de terre et les betteraves, et la vie qui est venue après eux, les traces qu’ils ont laissées et que le soleil de demain matin fera voir. Pour ne rien oublier et accepter, ensemble, ce qui fait cause commune. Comment pourrait-on mourir en paix sans cela?

Toutefois, je suis loin d’être opposé aux colonies agricoles en général; mais je ne les considère comme utiles que quand elles sont à la fois colonies agricoles et colonies de discipline; elles sont alors, je crois, un remède efficace pour détruire quelques-unes des causes de misère, et j’en parlerai plus tard avec quelques développements; je suis loin surtout d’être opposé au dessèchement des marais de notre Canton, et je hâte de tous mes vœux le moment où nous pourrons les rendre à la culture et effacer cette tache qui dépare notre beau pays.

Louis-Frédéric Berger
Du paupérisme dans le canton de Vaud, 1836

Cul du marais

Forel / 14 heures

Se réjouir des circonstances et de ce que celles-ci ont mis à notre disposition pour être en mesure, chaque jour, de nous en affranchir un instant et devenir ce rien qui seul nous fait être.

Je dépose Lili devant le clédar de son manège de poche avant de faire une longue halte à la station Avia de Forel où je visionne Le Crépuscule des Celtes réalisé par Stéphane Goël en 2008. Je constate avec un évident plaisir que les restes des squelettes d’animaux trouvés dans les puits à offrandes du Mormont et datant du premier siècle avant J.-C. sont acheminés chez l’archéozoologue du CNRS dans des cartons Chiquita Premium Bananas.
J’imagine avec une espèce de jubilation la variété des objets qu’a transportés chacun de ces solides cartons durant sa longue vie, en changeant régulièrement de mains, sans jamais trahir la confiance que chacun de nous a mis en eux.

A vendre un chardonneret pieds blancs avec sa cage, & une volière, une lunette à longue vue et une grande ardoise.

Une femme de Monprevayre désire avoir un enfant à nourir chez elle, le sien étant mort, son lait tout frais; s’adr. à la fille de chambre de Madame de Pottrie.

Perdu un mouchoir blanc marqué L.P. oublié Dimanche dernier au Sermon du matin à l’Eglise de St. François; le rendre au Bureau.

Trouvée une petite bague de diamant, trouvée par un pauvre homme de la ville; la voir chez Bessière & Mercier, qui l’ont retenue, & qui la rendront moyennant de justes indices.

Feuille d’avis de Lausanne | 14 avril 1789