La Moille-aux-Blanc

Corcelles-le-Jorat / 12 heures

Dépose côte à côte des morceaux de textes au café du Nord à Moudon, entre 8 heures 30 et 11 heures 30, il fait froid, le chauffage toussote. Une femme que j’ai connue lorsque j’habitais Hermenches me raconte sans retenue ses déboires de santé et de coeur, sa déprime, son futur divorce. Ses difficiles conditions de vie l’obligent dès janvier à faire des ménages, elle a 64 ans, excuse son mari avec lequel elle a vécu 43 ans et qui l’a quittée de vilaine manière à Noël passé. J’essaie de me mettre à sa place, j’y parviens mais n’y demeure qu’un instant. L’admire ensuite, elle, sa force, sa gentillesse.
Adalbert Stifter, Le Sapin aux inscriptions (1844) in Le Sentier forestier, traduction Nicolas Moutin avec la collaboration de Fabienne Jourdan, Paris, Les Belles Lettres, 2014
Balade avec Oscar sous le crachin, j’en profite pour préparer sur mon iPhone la ou les pages que je me propose d’écrire demain matin avant de rejoindre Frédéric pour une balade qui nous conduira une nouvelle fois au Mormont et au canal d’Entreroches.
Entame Les Grands Bois qu’Adalbert Stifter publie en 1841, dans une traduction d’Henri Thomas.
Johanna, qui était à l’âge où l’imagination s’en donne à coeur joie parmi les voleurs et les sorciers, n’aurait pas quitté si facilement ces choses, mais Clarissa ne se laissa plus entraîner, et la conversation revint ainsi à la broderie. Johanna défendit la rose qu’on incriminait, puis continua selon la belle logique qui traite en un instant de la danse, puis de quelque deuil, puis des préparatifs de guerre, puis de petits plats et de comètes. Comme le flot du sang sort du coeur à petits bonds, la légère troupe des pensées s’envole au gré du juvénile bavardage, l’oeil candide pose sur nous son regard confiant, et notre coeur ne peut s’empêcher de l’aimer plus que toute la sagesse des sages.

Chemin des Censières

Montpreveyres / 14 heures

Réveils tardifs, cadeaux, derniers macarons, pain, miel et confiture, jeux: Noël sous le ciel bleu.

Aux Censières avec Oscar par la Moille-aux-Frênes et la Borne des trois Jorats, retour par la Moille Baudin. Surveille simultanément mon chantier, vais et viens, déplace, ouvre et ferme des portes, partitionne, regroupe, insère, saute, reviens, teste, sautille, chantonne, on appelle ça écrire, je ne suis décidément pas sorti de l’auberge. Quant à Oscar il prend trop souvent la poudre d’escampette, je lui passe la laisse autour du cou.

Adalbert Stifter, Le Sceau des Anciens (1843) in Le Sentier forestier, traduction Nicolas Moutin avec la collaboration de Fabienne Jourdan, Paris, Les Belles Lettres, 2014

Seules les montagnes demeurent dans leur ancienne beauté et magnificence. Leurs sommets brilleront même quand notre génération et d’autres auront disparu, comme ils brûlaient au temps où les Romains passèrent dans leurs vallées, puis les Germains, les Huns et beaucoup d’autres encore. Elles verseront de la joie et une douce tristesse dans le coeur de bien d’autres quand ils les contempleront, jusqu’à ce qu’ils aient disparu eux aussi, ainsi que, peut-être, cette belle et bienveillante terre qui nous semble aujourd’hui pourtant avoir des fondements si solides et être bâtie pour des éternités.

Cuisine

Corcelles-le-Jorat / 16 heures

Verveine au restaurant du Chemin de fer à Moudon, entouré de joueurs de cartes et de tiercé. Me penche sur les cimetières de Dizy et du Chaney, redistribue les événements de la première étape sur deux journées, renvoie le jésuite Nicolas Caussin et saint Augustin à un autre jour.

Wir müssen zufrieden sein, disait la mère du petit homme rencontré cet après-midi dans les bois, à la retraite depuis une dizaine d’années. Biologiste au-dessus d’Epalinges pendant plus de trente ans, cet enfant de Lucerne a inventé avec un collègue des souches de levure de boulangerie présentant une propriété d’être inactives mais de survivre sous réfrigération, qui peuvent être utilisées dans la préparation d’articles de boulangerie à cuire au four juste avant consommation, après conservation au réfrigérateur, en chambre froide ou sur un rayon réfrigéré, des souches qui  sont à l’origine de certaines pâtes Buitoni en vente dans nos supermarchés. Pour ne pas perdre la main il brasse aujourd’hui de la bière avec son fils, se promène dans les bois, voyage et pilote à la maison un Airbus, dans un simulateur, qui lui permet de survoler les régions qu’il a visitées au cours de sa vie. Il fait remonter cette passion à celle de sa mère qui, manquant de l’argent nécessaire pour quitter les alentours des Quatre-Cantons, voyageait dans l’atlas qu’elle avait pu acquérir. Il vient souvent se promener dans le coin, avec sa femme d’habitude, mais aujourd’hui elle prépare le repas de fête.

Adalbert Stifter, Le Sentier forestier (1844) in Le Sentier forestier, traduction Nicolas Moutin avec la collaboration de Fabienne Jourdan, Paris, Les Belles Lettres, 2014
D’accord avec l’enthousiasme de Friedrich Nietzsche pour la prose d’Adalbert Stifter et de Robert Walser pour celle de Gottfried Keller. Ou plutôt pour celles de leurs traducteurs puisque mon allemand défaillant m’interdit d’aller aux sources. J’ignore ce que je perds au change, et même si je perds quelque chose, et au fond ne veux pas le savoir.