Château des Jaunins

Riau Graubon / 17 heures

Vincent Jaquet est libéré de la maison de force de Fribourg le matin du jeudi 2 juillet 1891, il rentre à pied à Vesin, bras ballants, 42 ans, 25 kilomètres, 8 ans de prison. La nuit tombe, sa soeur cadette l’informe sur le seuil de la maison familiale que sa mère l’a déshérité quelques semaines avant sa mort et qu’il n’y a pas de place pour lui chez elle.
On ne sait pas où Jaquet passe la nuit, mais on sait que le lendemain le syndic de Vesin met à sa disposition une cuisine et une chambre où il installe bientôt un atelier de menuiserie; les commandes suivent, elles l’encouragent à demander la main d’Elise, une femme qui a comme lui connu le pénitencier. Ils construisent une maison un peu en-dehors de Vesin, vue sur la Broye, petit jardin, aidés par la Société de patronage des détenus libérés et les autorités communales, encouragés par les paysans des alentours et l’évêque.
Jaquet qui a toujours aimé les roses apprend l’art de la greffe dans un manuel; il s’y consacrera jusqu’à la fin de sa vie, sur une terre ingrate qu’il a su rendre fertile. A la bonne saison il offre les plus belles à ses voisines, les Révérendes Sœurs de l’orphelinat de Montet, une maison de bienfaisance dont Jaquet assurera pendant plus de dix ans l’entretien. L’âge venant, il se contentera de travaux moins pénibles, offrira aux peintures qu’on lui confiera le cadre en bois qu’elles méritent tout en restant fidèle à ses roses.

Jeremias Gotthelf, Le Déluge en Emmental, 1838

J’apprends que Pierre Huwyler et Bernard Ducarroz sont les auteurs d’un Voleur aux mille roses, inspiré par le récit de Vincent Jaquet et créé en 1982. Aucune autre trace sur le net, je prends contact avec Pierre Huwyler.

Bois Vuacoz

Corcelles-le-Jorat

Lecture ce matin de la biographie que Georges Andrey a consacré à Grégoire Girard apôtre de l’école pour tous. J’en ai entendu les chapitres 8 et 9 au réfectoire de l’abbaye de Hauterive, lus comme s’il s’agissait de psaumes. Lu également un document datant de 1948 sur l’histoire du pénitencier de Bellechasse, édité à l’occasion du cinquantenaire de l’achat, en 1898, du domaine sur lequel il a été construit.

Promenade avec Sandra et Oscar, jusqu’au chemin des pervenches, retour par le refuge de la Moille-aux-Frênes. Double vitrage, neige, bruits avalés, silence étouffé, oreilles bouchées.

S’il est difficile de savoir ce qu’un homme du paléolithique éprouvait au contact de ce qui l’entourait: le vent, l’averse, le froid, les montagnes, l’autre, il l’est tout autant de le l’imaginer de n’importe qui aujourd’hui, pour autant que celui-ci ne veuille pas s’en affranchir et sorte de chez lui.

Estavayer-le-Lac

Estavayer-le-Lac / 11 heures 

La route de Granges au lac de Neuchâtel passe par Vesin où Vincent Jaquet naît en 1849. Le manuscrit de ses mémoires, récrits à la veille de sa mort par le curé de Montet, est légué en 1925 à Léon Borcard, chef de gare à Estavayer-le Lac. Son fils Bernard Borcard, devenu imprimeur et responsable du journal local – Le Républicain -, les publie en feuilleton entre 1948 et 1951. Un livre paraît, bientôt épuisé, si bien que le petit-fils du chef de gare, Léon Borcard, en propose une seconde édition en 1995.
Je fais sa connaissance ce matin dans son imprimerie tout près de la gare, il m’offre un exemplaire des Mémoires de Vincent Jaquet de Vesin, ajoutant en souriant que s’il greffe aujourd’hui ses rosiers, c’est grâce à ce mal né de la Broye fribourgeoise qui a transmis ce savoir-faire à son grand-père.

Berne, sous-sol d’Unitobler, belle conférence de Jean-Christophe Bailly dans le cadre du séminaire de Muriel Pic: ombres, mots, traces, images; une trentaine de participants, les hommes d’un côté les femmes de l’autre. On aperçoit le ciel en levant la tête, le fond bleu de l’horloge de l’église Saint-Paul, ses heures et ses aiguilles d’or, le vert-de-gris des plaques de cuivre qui recouvrent la tête du clocher.
Et je vois sans la voir la file qui attendait tout à l’heure l’ouverture des portes de l’église, pour recevoir, stocké dans des cageots, ce qui est nécessaire pour vivre.
Bailly évoque le saint Jérôme de Vittorio Carpaccio de la Scuola San Giorgio degli Schiavoni, je me souviens de son saint Augustin, juste à côté, du bichon maltais les yeux rivés sur son maître qui suit par la fenêtre ce qui, comme un lointain appel, ne cesse de s’éloigner. Lorsque je sors de l’auditoire, l’église Saint-Paul a fermé ses portes.

On n’est pas grand chose, on picore comme les oiseaux: ici, là, un peu de tout, un peu partout.