Plateforme 10

Lausanne / 17 heures

L’homme qui attendait la neige depuis la fin de l’été pouvait enfin respirer; pour la troisième fois cette saison il ne chômerait pas: une fine couche recouvrait la placette située à l’ouest de sa maison. C’était un retraité à principes qui ne supportait pas la saleté et qui savait prendre les devants, il aimait les choses lisses. Il enfila un bonnet et des gants, sortit une large pelle et, alors que le jour s’était depuis longtemps levé, racla consciencieusement le sol de sa placette, effaçant ainsi les traces de ces pas.
Il maudit une fois encore le vilain relief de ses pavés de granit mal équarris, aussi inégaux que les dalles du baptistère de Saint-Marc à Venise. Son oeuvre faite, il s’installa confortablement devant son téléviseur un cinzano blanc à la main.

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Elle reposait déjà dans la tombe. Seuls ses vêtements, des instruments, son ouvrage osé sur sa petite table signalaient encore son existence. Je me jetai sur un banc à dossier et m’abîmai dans les pleurs. Cette perte immense était la première qui me frappait. A la mort de mon père, j’étais trop jeune pour le bien ressentir. Quoique la douleur première eût été des plus vives et que j’eusse pensé ne pas lui survivre, elle avait mangé moi décru de jour en jour jusqu’à devenir une ombre et, au bout de quelques années, je ne parvenais plus à me figurer mon père. Il en allait autrement aujourd’hui. J’avais accoutumé de voir en ma mère le symbole de la perfection domestique, le symbole de l’indulgence, de la douceur, de l’ordre et de la constance. Ainsi était-elle devenue pour nous un centre référence et j’avais peine à concevoir qu’il pût un jour en être autrement. A présent seulement, je mesurai combien nous l’aimions. Elle avait passé, celle qui n’avait jamais rien demandé, qui n’avait jamais rien exigé pour elle-même, qui avait toujours donné sans bruit, accepté les caprices du sort comme un arrêt du ciel, et qui dans une foi tranquille, avait confié ses enfant à l’avenir. Dans le lit de glèbe, son coeur dormait d’un sommeil peut-être aussi humble que celui de la dormeuse de naguère en son lit blanc. Ma soeur semblait une ombre, elle voulait me consoler, mais je n’étais pas sûr qu’elle eût moins besoin que moi de consolation. Le mari de ma soeur se recueillait peu ou prou, il était siencieux et vaquait à ses tâches professionnelles. Bientôt, je demandait à voir la tombe fraîche de ma mère, pleurai là de toute mon âme et la recommande au maître des cieux. De retour à la maison, je visitai toutes les pièces où elle s’était tenue dans les derniers temps, en particulier sa chambrette où l’on avait tout laissé dans l’état, comme au temps de sa maladie. Mon beau-frère et ma soeur m’entourèrent, me prièrent de demeurer un temps auprès d’eux. J’acceptai. Dans la partie arrière de la maisonnée j’avais toujours préférée, ils avaient arrangé, presque entièrement de leurs mains, une chambre à mon attention avant que ma mère ne devînt malade. Je m’établis dans cette chambre où je défis mes paquets. Ses deux croisées regardaient le jardin, les rideaux blancs signalaient le soi de ma mère et le couvre-lit sans pli ses doigts vigilants. je n’avais pas le coeur d’en toucher l’ordonnance pour ne point la rompre. Je demeurai fort longtemps prostré dans la chambre. Puis je recommençai de hantera maison. Je n’avais nullement l’impression qu’il s’agissait de celle où s’étaient écoulés les jours de mon enfance. Elle me semblait immense, étrangère. L’appartement que ma soeur et son mari avaient arrangé là n’existait pas jadis, en revanche, la chambre parentale qui avait subsisté même après la mort de mon père avait disparu; je ne retrouvai pas non plus notre chambre d’enfant que j’avais revue dans son état originel à chaque fois que j’avais passé mes vacances à la maison. On avait en effet instauré un nouvel ordre domestique dans cette habitation. Parvenu sous les combles, je vis qu’on avait réparé les parties défectueuses di toit, on avait pris de nouvelles tuiles et procédé, aux angles jadis revêtus de tuiles rondes, au nouveau couvre-joint de mortier. Tout cela me peina bien que ce fût naturel et que je l’eusse à peine considéré en d’autre temps. Mais, à présent, la douleur exacerbait mon âme, et il me semblait qu’on avait évacué de la maison ce qui était ancien, y compris ma mère.

Adalbert Stifter, L’Arrière-saison (1857)
traduction Martine Keyser, Paris, Gallimard, 2000

W. G. Sebald relève dans un bref Essai sur Adalbert Stifter que les femmes idéales de l’écrivain autrichien sont destinées à rester éternellement dans le souvenir. La mort intempestive de la femme aimée ou le mariage impossible sont les conditions premières pour mener une vie vraiment active; chez Stifter, écrit Sebald, le célibataire et le veuf se confondent. Il aurait pu ajouter l’orphelin aussi.

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Table ronde ce soir
À la retraite, les cahiers au feu? Apprendre tout au long de la vie. Enjeux et défis. 

L’un des participants se demandait ce qu’il allait faire après, lorsqu’il serait à la retraite, comme il s’était demandé autrefois ce qui allait faire après, lorsqu’il serait sorti de l’école obligatoire.

Pour répondre à l’inégalité des offres de formation une professionnelle donne des pistes: une formation continue pour tous c’est possible, aussi bien pour des responsables de projets que pour les nettoyeuses de leurs bureaux. Il y a en effet toujours de nouveaux produits à tester et des techniques susceptibles d’éviter les courbatures chroniques et la multiplication des lumbagos.

Entendu enfin cette jolie formule:
Je n’ajouterai rien, il a tout dit jusqu’à maintenant.

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