Cul du marais

Forel / 14 heures

Se réjouir des circonstances et de ce que celles-ci ont mis à notre disposition pour être en mesure, chaque jour, de nous en affranchir un instant et devenir ce rien qui seul nous fait être.

Je dépose Lili devant le clédar de son manège de poche avant de faire une longue halte à la station Avia de Forel où je visionne Le Crépuscule des Celtes réalisé par Stéphane Goël en 2008. Je constate avec un évident plaisir que les restes des squelettes d’animaux trouvés dans les puits à offrandes du Mormont et datant du premier siècle avant J.-C. sont acheminés chez l’archéozoologue du CNRS dans des cartons Chiquita Premium Bananas.
J’imagine avec une espèce de jubilation la variété des objets qu’a transportés chacun de ces solides cartons durant sa longue vie, en changeant régulièrement de mains, sans jamais trahir la confiance que chacun de nous a mis en eux.

A vendre un chardonneret pieds blancs avec sa cage, & une volière, une lunette à longue vue et une grande ardoise.

Une femme de Monprevayre désire avoir un enfant à nourir chez elle, le sien étant mort, son lait tout frais ; s’adr. à la fille de chambre de Madame de Pottrie.

Perdu un mouchoir blanc marqué L.P. oublié Dimanche dernier au Sermon du matin à l’Eglise de St. François ; le rendre au Bureau.

Trouvée une petite bague de diamant, trouvée par un pauvre homme de la ville ; la voir chez Bessière & Mercier, qui l’ont retenue, & qui la rendront moyennant de justes indices.

Feuille d’avis de Lausanne | 14 avril 1789

A bord du Louisiane

Genève / 17 heures

Conseiller de M. Trump pour la sécurité nationale, le général McMaster a prêté sa plume à une explication de texte dans le Wall Street Journal, prévenant que le président qu’il servait avait « la vision clairvoyante que le monde n’est pas une communauté globale, mais une arène où les nations, les acteurs non gouvernementaux et les acteurs économiques  s’engagent et combattent pour des avantages. Nous apportons dans cette arène une force militaire, politique, économique, culturelle et morale sans rivale. Plutôt que de nier cette nature élémentaire des relations internationales, nous l’assumons.

Le Monde diplomatique, janvier 2018.

J’apprends dans ce même journal que le Centre industriel de stockage des déchets radioactifs de Bure se composerait de 300 kilomètres de galeries enfouies à 500 mètres de profondeur, qui concentrerait au même endroit 99,9 % des restes de l’industrie nucléaire française. Une bouffée d’oxygène dans cette modeste région de la Meuse, dont les Groupements d’intérêt public représentant l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs arrosent les habitants et les communes de cadeaux financiers. Un modèle de développement durable également lorsqu’on sait que les isotopes radiotoxiques resteront actifs pendant des centaines de milliers d’années encore.

C’est ce que le bonhomme encore jeune et un peu ivre m’a dit ce matin sur la place du marché :
Mon gars c’est le début de l’an et je vous emmerde, j’emmerde les donneurs de leçons, les faiseurs d’exercices, les moralistes, les professionnels, je vous emmerde. On a condamné les lanceurs de messages subliminaux, les vendeurs de tabac, les publicitaire. Intacts les poètes-philosophes qui affament nos gamins avant de les nourrir comme des oies. Je vous emmerde porteurs de doctrines, redresseurs de torts, avaleurs de couleuvres, coupeurs d’arômes. Je lance l’alerte, vous allez un jour devoir répondre de vos méthodes et de vos mots d’ordre.
C’est ce qu’il m’a dit et je fais passer.
Lancez la BBC sur le coup, les chaînes à Berlusconi, et TNT Berlin, tout est possible, ici  on aime la double crème et les bivouacs. C’est noël, c’est la pentecôte, chantez ou taisez-vous du bout des lèvres mais surtout chantez.
Le gars a du coffre, je fais suivre.

Rue des Abattoirs

Grillon / 13 heures

Une photo de mes grands-parents paternels sur le rebord de la cheminée de Colonzelle : des visages encore neufs, une idée fraîche, partagée, légère, qui dessine un sourire sur leur lèvres, et puis des mots qui n’ont nul besoin d’être dits. Tout près une photographie quarante ans plus tard : le même sourire, la même idée mais un peu courbaturée, collée à leur palais derrière leurs lèvres serrées. On n’en saura rien, eux non plus.

L’Auliaire alimentait autrefois un canal qui, à la sortie de Grillon, actionnait au moyen d’une roue à aubes un moulin à farine. S’y ajouta au milieu du XIXe siècle un atelier de mécanique d’où sortirent des roues hydrauliques, plus tard des turbines jusqu’en 1960.
De ce petit complexe industriel et familial devenu chambres d’hôtes restent la prise d’eau au bout de l’allée qui longe le canal jusqu’à la propriété, le mas d’habitation et le manteau de l’atelier.
Lorsque je m’enquiers des restes du moulin des Aulières proprement dit, l’hôtesse toute à ses hôtes m’informe avec la courtoisie des commerçants qu’il ne reste rien de cette histoire sinon les indications proposées au touriste à l’entrée de la propriété désormais privée. En dépit de ses faibles encouragements, je fais le tour du complexe à mes risques et périls, il n’y a effectivement plus rien, moins que rien puisque le canal qui a fait tourner l’atelier pendant plus de deux cents ans coule sous la bâtisse par une belle voute pour ne jamais en ressortir. Devant l’ancien moulin de l’Aulière disparu se déroule en effet un champ gazonné de blé d’hiver, avec dessous des tuyaux de pvc et dessus le silence assourdissant d’une histoire qui a coupé court.

L’espérance de vie des Américains, écrit le correspondant du Monde d’aujourd’hui, a baissé pour la deuxième année consécutive. Cette tendance est liée notamment à l’augmentation des suicides et des overdoses d’opioïdes obtenus sur ordonnance médicale.
Les statistiques indiquent en effet que plus de 63 000 Américains sont morts d’overdose en 2016. Les 25-34 ans ont payé le prix fort puisque leur nombre a augmenté de 30 %. Cet usage des opioïdes n’est pas sans effet non plus sur les gamins puisque dans le Maine et le Vermont par exemple, 30 nouveaux-nés sur 1000 sont affectés par des troubles du sevrage néonatal.
Je renonce à relayer d’autres chiffres qui font peur : l’augmentation de la consommation d’antidouleurs trouvés chez les médecins ou sur internet chez les 15-24 ans, les femmes, les Noirs, les Blancs, les citadins, les ruraux…
Et lorsqu’on sait que près de 80 % des personnes dépendantes de la consommation d’héroïne le sont suite à la consommation d’opioïdes délivrés sur ordonnance, on s’interroge sur notre rapport à la douleur, le bien-fondé des réductions dans le domaine de la santé demandées par Trump, la solitude dans nos villes et nos campagnes, l’augmentation de nos primes d’assurances, l’état de santé de nos démocraties, la pauvreté et sur bien d’autres choses encore.