Feu de bartasses à la Marjolatte, il est midi. Le paysan ramasse ce que l’hiver n’a pas digéré: brindilles légères, morceaux de mémoire, branchettes de lilas, couronnes d’épines. Au coeur du foyer bordé par un ourlet de neige à la couleur indécise, le feu a pris. La formidable odeur se lève et nous enveloppe, les voix oubliées que nous logions dans les blancs de la mémoire esquissent un chant discret, à peine une mélodie tandis que le souffle brûlant des flammes altère les arbres qui sont restés en arrière et l’horizon qui les croise. Le regard se baigne dans le bleu pétrole du ciel qui est descendu dans les ornières où la glace a fondu.
Tout événement n’est qu’un accroît de clarté. L’air froid désemcombre la conscience qui se retire dans quelque recoin, il est vain de résister. Le corps lui-même, poreux, est altéré, il est inutile de se frotter les yeux.
C’est l’heure des grands travaux, le passé et l’avenir sont lavés à grandes eaux, les chemins sont mélangés aux talus, les impasses se lézardent. Où suis-je, ici ou nulle part, je suis ce monde renouvelé lancé sur son erre.
Le feu s’éteint, le soir vient. Et tandis que tu lis pour te réchauffer un roman de gare, ceux qui ne répugnent pas à se pencher sur les papiers calcinés, lisent le texte des braises noires.
Minuit sonne trop tôt, et l’aube déjà.
Jean Prod’hom