Ne t’inquiète pas, la partie n’a pas commencé, avant on ira à l’océan avec nos cerfs-volants, on ramassera des coquillages, on construira des châteaux, on rira lorsque la vague huileuse et sans âme, puissante, obtuse écartera en les caressant les rêves auxquels on n’a jamais cru. Et on recommencera bien avant que la partie n’ait débuté, aussi longtemps qu’il le faudra. Au risque de prolonger jusqu’à la fin la folie des commencements.
On laissera sur la grève les quelques pierres avec lesquelles tu aurais pu élever des palais ou construire des digues. Ces pierres te serviront peut-être un jour à en jeter d’autres pour passer des gués ou remonter des fleuves dont tu ne soupçonnes pas l’existence.
C’est plus tard, c’est beaucoup plus tard que le sablier commence son décompte, c’est trop tard lorsque les dés ont été jetés et que tout est sur le point de finir. Demeure en retrait, détourne-toi de ceux qui te demandent, à toi qui l’ignores, qui tu es, d’où tu viens? Qui le sait. C’est lorsque la partie est jouée que le sablier met en scène l’inexorable. La partie n’a pas commencé.
Tu as le visage de personne, à peine un nom qui te distingue des autres, visage de pierre que nos rencontres attendrissent. Je te reconnais pourtant, temps béni d’avant les promesses. Il ne saurait en être autrement, tu n’es pas seul. N’obéis pas aux princes, aux otages du temps, au règne des fins, à ceux qui surveillent tes engagements.
Ne passe pas du règne des commencements à celui des fins, demeure à l’écart de l’étroite logique du temps, à côté du cou du sablier.
Et recommence s’il le faut, recommence depuis le commencement avec l’exigence des fins.
Jean Prod’hom