Plutôt que de vouloir saisir l’essence immobile des choses, tenter d’en dégager la vérité et le passé qui les vertèbre, sans lesquels elles n’auraient pas reçu de nom, il m’avait confié qu’il souhaitait plus modestement s’en approcher, en tenant compte de ce qui advient d’elles lorsqu’on fait subir, en leur voisinage, d’infimes variations de langage, et qu’on les confronte sans les raidir à la diversité de nos humeurs, à la lenteur des jours qui passent, au temps qu’il fait, à l’horizon, au hasard.
C’est là peut-être que la littérature a tout son sens, parce que c’est elle qui, multipliant les chemins, détours ou raccourcis, nous affranchit de celui qu’on emprunte jusqu’à plus soif, nous détourne de ce qu’on ne cesse de voir, en nous invitant à répéter après elle les formules avec lesquelles elle se confond pour nous orienter autrement hors d’elle. Sans cela le paysage ne serait qu’un visage fini et ton visage une promesse passée.
Si on n’usait de nos forces que pour lever les obstacles qui se présentent et contre lesquels on se bat sans compter jusqu’à l’épuisement, si on ne contournait pas par ruse ce qui jour après jour nous laisse insatisfaits, si on ne mélangeait pas un peu les mots et les choses, dans quelle disposition serions-nous ? Et quel temps nous resterait-il pour aimer ? (P)
Jean Prod’hom